Notre démarche
Transmettre l’humanité…….
Alors que la société consumériste semble considérer les métiers manuels comme une part obsolescente de notre modernité, nous avons la croyance profonde que le métier est un transmetteur d’humanité et qu’à ce titre, il doit être non pas sauvegardé mais promu. Plus qu’une nécessité économique, il détient un pouvoir humanisant, c’est-à-dire une capacité intrinsèque à créer de l’humanité chez l’individu. Plus encore, le métier est un art au service de l’art de vivre. Et c’est cet art particulier exercé avec talent qui donnera à l’homme le désir de vivre dans un monde technologique de plus en plus déshumanisant. Les métiers de la bouche et de la mode (la haute couture, la maroquinerie, etc.), le prouvent déjà quotidiennement, les métiers de la restauration des monuments historiques et du mobilier également, cependant tous les métiers manuels ont ce pouvoir, C’est là notre démarche. Nous tentons de démontrer la capacité ontologique des métiers et leur pouvoir créatif, mental, psychologique et spirituel. La dimension philosophique et épistémologique des métiers n’a jamais été réalisée. Tout un pan de l’évolution humaine qui a été négligé et qui cependant, participe et participera à l’épanouissement de l’être humain. Contrairement à la science fiction du 20e s, l’homme du futur ne se nourrira pas de gélules : il recherchera les produits et les mets les plus savoureux. Son environnement fera l’objet d’une attention gourmande et gourmet. Qui dit modernité dit plaisir des sens. La pauvreté, ce recul d’humanité ne permet pas la modernité. La modernité fait la promotion du bien-être… le bien-être commence par la nourriture, le logement et l’insertion dans la société ; ce sont les conditions de sa dignité. Or, l’apprentissage d’un métier manuel est la garantie de vivre avec dignité et en toute autonomie, ce que garantissent peu d’activités humaines. L’apprentissage d’un métier manuel est une garantie contre la pauvreté ; il n’est pas la garantie de devenir riche dans une société paupérisée ; il permet simplement d’élever sa condition sociale, de donner un sens à sa vie et d’exercer son talent, ce qui n’est pas anodin, y compris dans une société technologiquement développée. L’apprentissage d’un métier manuel n’est pas le remède à tous les maux, loin s’en faut, mais il possède la capacité d’équilibrer les individus. C’est en cela qu’il est un patrimoine fondamental de l’humanité.
L’apprentissage s’adresse donc à l’adolescent et consiste à découvrir en lui l’histoire de son humanité depuis les origines, de lui apprendre à interroger son potentiel d’humanité présente, de descendre en lui jusqu’à la première étincelle d’intelligence. Puis, dans un second temps, de lui faire entreprendre un voyage onirique depuis la racine de l’humanité, nécessairement commencé par l’observation de la nature et la fabrication d’outils ; de le guider dans son cheminement vertical qui longe la montée de l’intelligence humaine, du processus de développement de la pensée et lui permettre de revivre ainsi les seuils de passage des états de conscience de l’homo faber à l’homo sapiens. Lui ouvrir alors des portes de compréhension dans une perspective encore insoupçonnée : lui éveiller une capacité imaginative au-delà des niveaux de conscience ordinaire. Lui proposer de considérer l’imagination comme une puissance majeure de la nature humaine, où s’ouvrent de nouveaux espaces qui agrandissent le monde et exprime sa beauté. C’est dans cette dimension de rêverie psychiquement agissante que se vit réellement l’expérience maturante de l’adolescent qui ouvre les yeux, qui prend conscience de sa propre humanité et de ce qui le relie aux autres, tant au plan historique (tradition) que social (modernité). L’âme rêveuse est l’antichambre de la raison pour peu qu’elle ne se perde pas en route. C’est ce que permet, nous semble t-il, l’apprentissage d’un métier sensible par l’attention, la concentration indispensable à porter. C’est la voie que constitue l’apprentissage d’un métier manuel.
C’est ce voyage que l’homme de métier réitère, de l’observation des lois de la nature et de la maîtrise des outils à main jusqu’à la créativité tant technique qu’artistique. La première répond à la nécessité et débouche sur le concept d’esprit scientifique : tant de songes qui ont enfanté un peu d’intelligence ; la seconde répond à l’appel de l’âme humaine qui cherche le sentier des hautes régions de l’esprit universel comme un réflexe. Sans doute la nostalgie d’une très vieille humanité apaisée que nous sollicitons par notre capacité onirique. C’est par le même processus que se produit la création qui relie le créateur des peintures pariétales de Lascaux et le ferronnier d’art des grilles royales de Versailles. Les deux ont saisi le geste juste qui confine au sacré ; ils veulent le rendre à leurs contemporains ordinaires sans être nécessairement conscients qu’ils touchent à l’éternité. Et l’instant d’une image, ils sont en contact. C’est ce qu’ils nous permettent de vivre aussi si nous savons rêver. Nous n’apprécions la beauté que par un réflexe de retrait intérieur, d’élévation dynamique et de vacuité des sommets.
Il est véritablement libre celui qui dépasse les limites des systèmes de pensée. C’est en cela que le monde intérieur de l’homme de métier constitue un potentiel subversif face au système. Il est sans limite, le forgeron qui combine les lois universelles et qui sait diriger son imaginaire dans un espace aux dimensions jusqu’alors inconnues. C’est cette même capacité prospective qui anime le scientifique. C’est en cela aussi, que l’encyclopédiste souhaite comprendre, « prendre avec lui », les faits et gestes de l’homme de métier, soutirer sa capacité de résonnance profonde et de raisonnement éclairé ; c’est pour la même raison que le faiseur de processus et de normes décortique sa technique du métier afin de le confiner dans des règlementations et des interdits : le systémiste voit les gestes du forgeron comme une répétition sans âmes ; l’homme de métier les sait différents dans son dialogue incessant avec la matière travaillée, il épie la nuance comme un facteur d’orgue règles les accords. La beauté ne sera jamais atteinte que dans une véritable harmonie des sens mise au diapason des éléments, dans une empreinte exprimée de l’humanité. En cela, elle n’est pas robotisable, sauf à s’en passer.