Dominique Naert - Nous n'avons pas la capacité de changer le monde, mais celle de changer notre propre vision du monde…/… We can't change the world, but we can change our view of it.
 
déc
20

Symbolisme

Ecrit par Dominique

Le symbolisme dans le jardin médiéval

Par D. Naert.

Pour aborder le plus clairement possible le symbolisme dans le jardin médiéval, nous devons d’abord saisir tous les paramètres qui forment l’esprit de ceux qui créaient ces jardins. Ce sont les moines qui, les premiers ont développé l’art du jardinier comme une science et un métier à part entière. Tout était donc empreint des Saintes Ecritures et les jardins qui se créèrent en dehors des monastères suivaient les mêmes prescriptions.  Nous devons, alors, nous plonger dans un monde différent de celui que nous connaissons aujourd’hui pour essayer de saisir l’approche des choses, la vision du monde des gens du Moyen Age. Si nous vivons dans le monde du savoir, ils vivaient dans celui de la connaissance. Non pas que le savoir n’existait pas, au contraire nous sommes à un tournant de la civilisation dans ce domaine. Non pas que la connaissance ait disparue aujourd’hui, puisque la civilisation occidentale se tourne à nouveau vers ce qui caractérise la connaissance, c’est à dire la transmission. Elle existe toujours dans certaines communautés telles que le Compagnonnage, dans la plupart des tribus en Afrique, dans certaines sectes au Moyen Orient (druzes, soufis…) et en Inde autrement dit dans les pays du tiers monde (j’oublie bien sûr nombre d’ethnies traditionnelles…). Or pour atteindre à la connaissance grâce à la transmission, il est nécessaire d’avoir un maître, des mythes fondateurs, des rites et un chemin de dévoilement d’un enseignement illustré par des symboles : on désigne tout cet ensemble par le terme ‘’ initiation ‘’.  Au Moyen-âge, le symbole était un mode d’expression naturel et il était souvent le résultat d’une association d’idées : « ce n’est point en changeant de lieu qu’il faut s’approcher de Dieu , mais par des clartés successives, nous dit St Bernard  et qui ne sont pas corporelles mais spirituelles »  En outre, si le symbole avait un lien avec les Ecritures, on le croyait inspiré par Dieu lui-même.

L’architecture et l’iconographie vont traduire la volonté manifeste de diffuser un message plus clair à l’ensemble des fidèles. En ce qui concerne le jardin, il est d’abord destiné aux initiés que sont les moines; il sera un moyen de s’approcher du Christ jardinier. Pour Alexandre de Hales (1185/1245), chanoine de St Paul à Londres et maître de philosophie de l’université de Paris, « on ne peut pas parler de beauté absolue, mais de beauté, résultat de l’ordre. On peut même dire : l’ordre est beauté ». L’Ordre devait donc se refléter partout et le jardin était l’image même du Paradis auquel les moines devaient contribuer : Ora et labora (prier et travailler) était alors le moyen de s’approcher de Dieu. Tout devait tendre vers la perfection et pour cela le travail avait un seul but : continuer l’Oeuvre de Dieu. Les moines consacraient leur labeur à la copie et à l’étude mais surtout au jardin duquel ils tiraient leur viatique. Ils en étaient les jardiniers à l’image du Christ ressuscité et confiaient le reste des activités manuelles aux « convers » et aux « familiers ». L’étude leur permettait de comprendre le sens par lequel il s’approcheraient de la perfection.  Pour St Thomas d’Acquin, « l’oeuvre est d’autant plus parfaite qu’elle atteint davantage à la ressemblance de ce qui est dans la nature ». L’église chercha à articuler entre elles les sciences et les philosophies anciennes, pour les mettre au service de la vraie foi. La philosophie médiévale recherchait dans Pythagore, Platon ou Aristote les indices d’une piste qui pourrait les amener aux portes de la création, à Dieu lui-même.

Les références antiques du Moyen Age : de la philosophie au jardin.

Il est impossible de comprendre les motivations des hommes d’Eglise du Moyen Age si nous n’abordons pas les théories de ceux qui les inspiraient : « L’iconographie est lorsque avec la règle et le compas dans un espace médiocre on trace le plan d’un édifice comme si c’était sur le terrain » : c’était la définition de Vitruve en ce qui concerne l’exercice que devaient réaliser les maîtres d’oeuvre. Vitruve était architecte à Rome au 1er siècle avant Jésus-Christ, au temps d’Auguste, et détenait son savoir de l’étude des savants grecs (Thalès, Pythagore, Empédocle d’Agrigente, Platon, Aristote, Euclide, Archimède). Ainsi pour Vitruve «jamais un bâtiment ne pourra être bien ordonné… si toutes les parties ne sont, les unes par rapport aux autres, comme le sont celles du corps d’un homme bien formé » ( De Architectura III, I). On ne pourra donc pas tracer un jardin en dehors de ces préceptes. L’ensemble de la théorie du corps humain comme référence de l’harmonie universelle, qu’illustrera Léonard de Vinci dans la « Divina Proportione » du moine Fra Luca Pacioli di Borgo (1509), prend sa source de la théorie de Vitruve : il est la référence constante des maîtres d’oeuvre des cathédrales. St Augustin développe l’analogie entre les proportions du corps humain et « l’arche, vaisseau du salut » (Civitas Dei, XV, XXVI). Hildegarde de Bingen (1192/1179), dont St Bernard disait d’elle  « gardons nous d’éteindre cette étonnante lumière », déclarait « o homme, regarde toi : tu as en toi le ciel et la terre ».

 

Pour Vitruve « L’ordonnance est ce qui donne à toutes les parties d’un bâtiment leur juste grandeur, par rapport à leur usage ; cette ordonnance dépend de la quantité appelée en grec « Poçores », qui dépend du module qui a été pris pour régler l’oeuvre entière et chacune de ses parties séparément. Pour bien ordonner un édifice, il faut avoir recours à la proportion, qui est une chose que les architectes doivent surtout observer exactement. Si donc la nature a tellement composé le corps de l’homme que chaque membre a une proportion avec le tout, ce n’est pas sans raison que les anciens ont voulu dans leurs ouvrages ce même rapport des parties avec le tout. Mais entre tous les ouvrages dont ils ont réglé les mesures, ils ont principalement eu soin des Temples des Dieux, dans lesquels ce qu’il y a de bien ou de mal fait est exposé au jugement de toute la postérité ». Il fallait donc imiter les anciens, rechercher l’esprit et la connaissance qui leur avaient permis de réaliser des chefs d’oeuvre et qui permettraient de composer des temples dédiés aux Dieux sans commettre d’erreurs fatales à leurs postérités et à celle du maître d’œuvre lui-même : Pythagore était le premier chez qui chercher, l’étude de Platon et d’Aristote étant, bien sur, essentielle, pour la compréhension et l’enrichissement  du sujet.

L’axiome de base de Pythagore (6e siècle avant  Jésus Christ ) était, en effet : « Arithmo de te pant epeoiken, tout est ordonné par le nombre », et « le monde entier n’est qu’harmonie et arithmétique». Pythagore était l’autorité reconnue quant à l’aspect mathématique de l’ordre universel. Les gens instruits connaissaient ses formules et ses théories. Les sources de ce qui constitue l’essentiel du pythagorisme médiéval se trouvent dans les traités mathématiques de l’époque. Tous ces ouvrages semblent effectivement dériver de « l’introduction à l’arithmétique à Nicomaque », (vers 100 de notre ère) lequel appartenait à l’école néo-pythagoricienne. Ce réseau de chiffres « devait emprisonner l’esprit pour l’attirer à Dieu ». Pour les initiés que sont les hommes de la haute église, 4 est le chiffre du monde, 5 de l’homme, 10 somme des quatre chiffres premiers (1+2+3+4), expression du parfait selon Pythagore, le signe de Dieu : 1+2+3+4=10 représente la tétraktys. Le monument exprime l’oeuvre de Dieu par des rapports arithmétiques, qui relient chacun des éléments à tous les autres.

Platon développa la pensée de Pythagore, en particulier dans son « Timée », pensée qu’il prolongea par sa théorie sur les cinq corps polygonaux. Il était le disciple de Socrate, dont il reprend une des devises : « la vertu est la science du bien ». Pour Platon, « l’univers dans ses moindres détails est le règne de l’harmonie et du divin. Aussi l’homme doit-il se rendre, autant qu’il se peut, semblable à l’Etre Absolu, soit à l’intelligence parfaite, au bien universel,  commencement, milieu et fin de toutes choses ». Il existe donc un beau, un juste en soi, auquel les choses belles ou justes empruntent leur réalité passagère : « Dieu pensait que le semblable est mille fois plus beau que le dissemblable » ( le Timée). La connaissance suprême procure une vision d’ensemble de ce monde intelligible et la dialectique exige du philosophe l’étude préalable de quatre sciences : l’arithmétique, l’astronomie, la géométrie et la musique.

Pour Aristote, son disciple, fils du médecin Nicomaque, et précepteur d’Alexandre le Grand, la vertu est mesure, et héritière conforme à la juste raison. Elle est en acte et non en puissance : l’homme n’est pas courageux et il ne le devient que lorsque qu’il accomplit des actions courageuses. C’est ce qu’il développe dans « Ethique à Nicomaque ». Dans « La  Métaphysique », Aristote distingue qu’après quatre états, « matériel, formel, efficient et final »,  tout est mouvement , un moteur premier (Dieu) qui se trouve donc à l’origine de tout; et ce Dieu est uniquement un principe physique

Au 3e siècle, Plotin, philosophe grec,  fonde le néo-platonisme ; sa doctrine, celle du Salut, nous enseigne la démarche par laquelle notre âme peut retrouver l’idée originelle et se fondre en elle. Il a exercé une influence importante sur Saint Augustin, évêque carthaginois du 4e siècle, qui fut appelé « docteur de la grâce ». Saint Augustin voyait dans la connaissance une participation à la connaissance divine et a fait des idées platoniciennes les idées mêmes de la sagesse de Dieu. Pour lui, Dieu ne fait que couronner ces dons quand il couronne nos mérites. Nommé Père de l’Eglise, il est à la base de la pensée de Saint Bernard mais aussi de Luther, Calvin ou Descartes. Ces quelques éléments de la pensée antique, véhiculée par les musulmans à la tête desquels se trouvent Avicenne et Averroès et son disciple juif Maimonide, permettent de saisir l’attitude médiévale.

L’influence de St Bernard (1090-20 août 1153)

 

Dès le 12e siècle, la France assistait à l’avènement du second grand ordre monastique après l’ordre de Cluny. En 1144, l’année de la consécration du choeur de St Denis, plus de 350 monastères cisterciens sont dispersés dans tout l’Occident ; le siège pontifical est occupé par un cistercien, Eugène III, tout comme plus tard, en 1210, Jean de Brienne, autre champenois, moine à Clairvaux puis Templier, qui devint roi de Jérusalem puis empereur de Constantinople. Bernard de Clairvaux, était entré en 1112 à Cîteaux ; Etienne Harding, dés 1115,  lui demandera de  créer l’abbaye dont il portera le nom; il devient l’un des personnages les plus influents de la chrétienté : Il lance la deuxième croisade (1147-48),  conseille les rois,  part prêcher à Albi contre les Cathares. Il est élu archevêque de Reims, mais il refuse. Il polémique avec Pierre le Vénérable, abbé de Cluny, qui se rendra en partie à ses arguments, et avec Suger, abbé de st Denis, pour qui, malgré tout, il aura la plus grande estime. Cependant Suger, avec qui il partagera le vrai pouvoir de la nation, devra se défendre : « Rien n’est trop beau pour le Christ qui a donné sa vie pour nous » ; il répondait ainsi à l’attaque de Bernard de Clairvaux qui ne partageait pas son goût du faste: «  on laisse les pauvres crier famine et on dépense ce qui leur serait nécessaire en somptuosités inutiles ». Enfin, St Bernard sera intraitable contre Abelard et ses théories sur la trinité (1140).

En France, en Espagne, en Italie, en Angleterre et en Suède, il créera soixante-huit abbayes « filles »  de Clairvaux, auxquelles il imposera un style dépouillé, et qui devait respecter l’ordre contenu dans la création et révélé par les écriture : « Qui est Dieu ? Il est longueur, largeur, hauteur, profondeur. » ( De consideratione, ch :XIII, repris de la lettre de St Paul aux Ephésiens ).

St Bernard puisait sa réflexion dans l’œuvre de Salomon, « l’Ecclésiaste » ou encore le « Cantique des Cantiques » ; il lui consacra plus de 120 sermons ,« J’aime parce que j’aime. J’aime pour aimer. C’est une grande chose que l’amour lorsqu’il remonte à son principe, retourne à son origine et s’en revient toujours puiser à sa propre source les eaux dont il fait son courant ». Il créera ses monastères au bord des rivières et en tirera l’énergie et la salubrité. Les cisterciens sauront tirer partie de cette eau vive, sauront irriguer leurs jardins et créeront un microcosme sous la conduite exigeante de Bernard de Clairvaux.

De ses lectures naquit la conviction de consacrer les églises cathédrales à la mère du Christ.  Il développa un courant de pensée qui modifia le comportement social : les rudes chevaliers, prêts à terrasser la « bête » de l’Apocalypse, le dragon, comme l’avait fait st Georges, furent entraînés, alors,  vers les bonnes manières et l’art d’aimer, développés par les troubadours et les trouvères. Le seigneur de Coucy (Guy de Thourotte), le Comte Thibaud de Champagne (dit le chansonnier), mais surtout  Chrétien de Troyes, furent les premiers motivés par Bernard de Clairvaux, mêlés aux contes levantins ramenés par les croisés, au premier rang desquels Guillaume IX de Poitiers, duc d’Aquitaine et grand père d’Aliénor d’Aquitaine. Celui-ci est considéré comme le premier troubadour occidental. On vit apparaître les premiers « romans » (la langue parlée était le roman) : le «roman de la rose», composé entre 1235 et 1280 par Guillaume de Lorris et Jean de Meung est la référence en la matière et semble être une inspiration du «Cantique des Cantiques». Ce courant de pensée est aussi à l’origine du goût développé des philosophes, des savants et des artistes, pour l’observation de la nature et de sa reproduction dans l’architecture. En plus des jardins monastiques, les jardins d’Amour firent alors leurs apparitions.

 

Le jardin représente le Paradis dans toutes les civilisations.

 

Le jardin est le symbole du Paradis terrestre, du Cosmos dont il est le centre, du Paradis céleste dont il est la figure, des états spirituels, qui correspondent aux séjours paradisiaques. On sait que le Paradis terrestre de la Genèse était un jardin, qu’Adam cultivait le jardin ; ce qui correspond à la prédominance du règne végétal au début d’une ère cyclique, tandis que la Jérusalem céleste de la fin sera une ville, un règne minéral. Il a pu être dit des jardins de la Rome antique qu’ils étaient les souvenirs d’un paradis perdu. Ils étaient aussi des images et des résumés du monde. Quant au jardin d’Extrême-Orient, c’est le monde en petit mais c’est aussi la nature restaurée en son état originel, invitation à la restauration de la nature originelle de l’être.

Le cloître des monastères, le jardin clos des maisons musulmanes avec leur fontaine centrale, sont des images du Paradis. Il recouvre le terme persan signifiant un jardin paré d’arbres fruitiers, de plantes odoriférantes et de courants d’eau vive… Eh bien ! de même les hautes connaissances et les dons infusés par l’Intelligence et par l’Ame sont le jardin de la claire perception intérieure. De ces jardins, qui sont les états paradisiaques, il est dit, dans l’Islam, qu’Allah est le Jardinier. Dieu lui-même est un jardin, écrit saint Jean de la Croix ; l’épouse le nomme ainsi à cause de l’agréable demeure qu’elle trouve en Lui. Elle entre dans ce jardin lorsqu’elle se transporte en Dieu.

Une tradition kabbalistique traite aussi du Paradis comme d’un jardin qui fut ravagé par certains de ceux qui y entrèrent. Il est le domaine de la connaissance supérieure. Le « fleuve d’en haut » de la tradition juive est celui des grâces, des influences célestes. Mais le fleuve d’en haut descend verticalement selon l’axe du monde ; après quoi, il se répand à l’horizontal à partir du centre, selon les quatre directions cardinales, jusqu’au extrémités du monde : ce sont les quatre fleuves du Paradis terrestre ( Pishôn, Gihôn, Tigre et l’Euphrate ).

Les Égyptiens avaient aussi le goût des jardins, avec des massifs fleuris et des bassins. Ils en dessinaient sur les murs et sur le sol de leurs palais. Chaque fleur avait son langage : les baies de Mandragore étaient symboles d’amour, les lotus aux pétales ouverts évoquaient la roue solaire et leur enracinement dans les eaux, la naissance du monde. En fait l’Egypte ancienne est à l’origine de la plupart des métaphores judéo-chrétiennes. Relayées par les grecs puis les romains, elle sont arrivées jusqu’à nous, teintées de la culture mésopotamienne qu’elle avait en partie ingérée.

Les fêtes du mariage de Zeus et d’Héra se sont déroulées dans le merveilleux et mythique Jardin des Hespérides, symbole d’une fécondité toujours renaissante. Mais, pour les Grecs, le jardin est surtout un luxe dont ils ont découvert le charme en Asie lors des conquêtes d’Alexandre. Les Romains ont poussé jusqu’aux raffinements les plus complexes, mêlant architecture, statues, escaliers, sources, grottes, fontaines et jets d’eau aux charmes colorés d’une végétation obéissant aux lois et à la volonté de l’homme. Particulièrement sous la forme d’un quinconce régulier, le jardin se révélait ainsi comme un symbole de la puissance de l’homme et, en particulier, de son pouvoir sur une nature domestiquée. On peut transposer à des niveaux plus élevés et voir dans un jardin un symbole de culture opposée à la nature sauvage, du réfléchi au spontané, de l’ordre au désordre, de la conscience à l’inconscient.

Mais c’est en Perse que le jardin prit une signification, non seulement cosmique comme au Japon, mais aussi métaphysique et mystique. L’amour des jardins est le thème central de la vision iranienne du monde. Les recueils de poésie les plus célèbres s’intitulent la Roseraie (Gulistan), le Verger (Bustan). Les thèmes musicaux sont souvent dédiés aux jardins. C’est une source perpétuelle de comparaisons ; la bien-aimée est comparée au cyprès, au jasmin, à la rose. Plusieurs grands poètes ont voulu être enterrés dans les jardins. C’est un thème apparenté à celui de l’oasis et de l’île : fraîcheur, ombrage, refuge. Dans les célèbres tapis persans, dits au jardin, le champ est divisé par des canaux rectilignes où nagent des poissons. Ces canaux, qui se croisent à angles droits, circonscrivent des carrés remplis de fleurs et d’arbustes. Le parc sassanide typique est en forme de croix à angles droits, avec le palais au centre. Cela correspond à l’idée cosmologique d’un univers divisé en quatre quartiers, traversé par quatre grands fleuves (Paradis terrestre). Les jardins persans typiques, comportant un schéma rectangulaire, sont aussi en relation avec l’ancien plan de la cité. Le bassin du jardin est un miroir. Dans les Mille et une Nuits, il est question d’un bassin dans un pavillon de repos qui a quatre portes, auxquelles on accède par cinq marches. Certaines versions de la Cosmologie, décrivant un univers à quatre côtés, placent en son centre une montagne. Cette idée est reproduite dans plusieurs jardins persans et dans les jardins mongols de l’Inde. Les jardins persans sont toujours ceints de murs : intimité protégée. Pas de jardins sans parfums. Un symbolisme s’attache au parfum des fleurs. Le parfum du jasmin est le parfum des rois ; celui de la rose, le parfum des bien-aimés. L’odeur du saman, sorte de jasmin blanc, est comme le parfum de vos propres enfants. Le narcisse a le parfum de la jeunesse ; le lotus bleu l’odeur du pouvoir matériel ou de la richesse, etc.

Il s’agit toujours des vieux symboles des quatre parties du monde, des quatre fleuves, et ainsi de suite… Le jardin représente une rêverie du monde, vous transportant hors du monde. Jalal-ud Din Rûmi voit dans la beauté des fleurs un signe qui rappelle à l’âme des souvenirs de l’éternité. L’âme dans son ascension a traversé tous les degrés de l’existence : elle a su elle-même ce que c’est que d’être une plante. Wâsitî dit : Que celui qui veut contempler la gloire de Dieu contemple une rose rouge… Et de même que la Réalité ultime peut être perçue dans la contemplation immobile d’une rose rouge, de même lorsqu’une fleur exquise ravit le cœur, on se sent de nouveau pour un instant une plante. Le mystique voit Dieu dans le jardin et lui-même dans l’herbe.

La réalité ultime et la béatitude sont interprétées en termes de jardin (Coran, 18, 55, etc). C’est le séjour de l’au-delà réservé aux Élus : « Ceux-là seront les Hôtes du Jardin où ils seront immortels, en récompense de ce qu’ils faisaient sur terre » (Coran, 46, 14). Le Jardin du Paradis comporte des fontaines jaillissantes, des ruisseaux d’eau vive, de lait, de vin, de miel (47, 15) ; des fontaines aromatisées de camphre ou de gingembre ; des ombrages verts, des fruits savoureux ; en toutes saisons, une pompe royale (83, 24), des vêtements précieux, des parfums, des bracelets, des repas raffinés servis en de riches faisselles (52, 24) par des éphèbes immortels semblables à des perles détachées. Parents, femmes, enfants sont présents. On promet aux croyants des épouses purifiées (Houris), vierges et parfaites. Les Élus sont dans la proximité du Trône de Dieu, les visages, ce jour-là, seront brillants, regardant leur Seigneur (Coran, 75, 22-23). Le Paradis est un jardin, le jardin un paradis.

Le jardin du Cantique des Cantiques.

Le plus beau chant du jardin et le plus riche en symboles, le plus commenté par les auteurs mystiques, est encore le Cantique des Cantiques. Bernard de Clairvaux rédigea 120 sermons à son propos :

- Elle est un jardin bien clos,

  ma sœur, ma fiancée,

  un jardin bien clos,

  une source scellée…

  … source qui féconde les jardins,

  fruits d’eau vive,

  ruisseau dévalant du Liban !

- Lève-toi Aquilon,

  accours, Autan !

  Soufflez sur mon jardin,

  qu’il distille ses aromates !

  Que mon Bien-aimé entre dans son jardin,

  qu’il en goûte les fruits délicieux !

- J’entre dans mon jardin,

  ma sœur, ma fiancée,

  Je récolte ma myrrhe et mon baume,

  je mange mon miel et mon rayon,

  je bois mon vin et mon lait.

Le jardin apparaît souvent dans les rêves comme l’heureuse expression d’un désir pur de toute anxiété. Il est le lieu de la croissance, de la culture de phénomènes vitaux et intérieurs. Le déroulement des saisons s’y accomplit au moyen de formes ordonnées… la vie et sa richesse y deviennent visibles de la plus merveilleuse des façons. Le mur du jardin maintient les forces internes qui fleurissent… On ne pénètre dans le jardin que par une porte étroite. Le rêveur est fréquemment obligé d’abord de chercher cette porte en faisant le tour. C’est l’expression imagée d’une évolution psychique assez longue qui est parvenue à une richesse interne… Ce jardin peut être l’allégorie du soi lorsqu’en son milieu se trouve un grand arbre ou une fontaine… Le jardin désigne assez souvent pour l’homme la partie sexuelle du corps féminin. Mais à travers cette allégorie du petit jardin paradisiaque, les chants religieux des mystiques… signifient beaucoup plus que le simple amour et son incarnation, ils cherchent et louent ardemment le centre le plus intime de l’âme.

Dans la description qu’en donne l’Apocalypse, Jérusalem symbolise le nouvel ordre des choses qui remplacera celui du monde présent, à la fin des temps. Elle signifie, non pas le paradis traditionnel, mais au contraire ce qui surpasse toute tradition : un nouveau absolu. « Je vis un ciel nouveau, une terre nouvelle –le premier ciel en effet et la première terre ont disparu et, de mer, il n’y en a plus. Et je vis la Cité Sainte, Jérusalem nouvelle, qui descendait du ciel, de chez Dieu ; elle s’est faite belle comme une jeune mariée pour son époux. J’entendis alors une voix clamer, du trône : Voici la demeure de Dieu avec les hommes. Il aura sa demeure avec eux ; ils seront son peuple et lui, Dieu-avec-eux, sera leur Dieu. Il essuiera toute larme de leurs yeux : de mort, il n’y en aura plus ; de pleur, de cri et de peine, il n’y en aura plus, car l’ancien monde s’en est allé. Alors celui qui siège sur le trône déclarera : Voici que je fais l’univers nouveau… Je suis l’Alpha et l’Oméga, le Principe et la fin (Apocalypse, 21, 1-6) ». Le jardin monastique est alors un lieu de salut pour le corps et l’esprit. Il fait partie de la vie spirituelle du monastère avec un ordonnancement établi selon des règles précises pour constituer un endroit propice à la méditation.

Le puits, le centre du microcosme monastique.

Il y a lieu d’insister sur la forme carrée de la Jérusalem céleste qui la distingue du Paradis terrestre, généralement représenté sous la forme ronde : c’est que celui-ci était le ciel sur la terre, tandis que la Nouvelle Jérusalem, c’est la terre dans le ciel. Les formes circulaires se rapportent au ciel, les carrées à la terre. La transmutation de l’Univers, signifiée par la Jérusalem nouvelle, n’est point un retour à un passé idyllique, c’est une projection dans un avenir sans précédent. Au centre de ce carré, le puits revêt un caractère sacré dans toutes les traditions : il réalise comme une synthèse de trois ordres cosmiques : ciel, terre et enfer ; de trois éléments : l’eau, la terre et l’air. Il est une voie vitale de communication. Il est lui aussi un microcosme, une synthèse cosmique. Il fait communiquer avec le séjour des morts. Le puits, c’est l’homme lui-même. La forme octogonale de la margelle exprime alors la résurrection. Celle avant tout du Christ rédempteur. L’eau vive du puits est force de vie, eau de vie. Elle s’oppose à l’eau stagnante et malfaisante. L’eau du puits est aussi un miroir dans lequel se reflète l’âme. L’eau du puits, c’est aussi l’élément de base du baptême. L’eau du baptême figure les eaux mortes de la création sanctifiées par les eaux vives de l’Esprit Saint. Immergé trois fois au nom de la Trinité, le baptisé subit une mort et une renaissance spirituelles. Il revêt ainsi le Christ en recevant Son sceau de l’Esprit Saint, participant symboliquement au baptême par l’eau et l’esprit de Jésus dans le Jourdain. Le baptême est la première étape de l’initiation chrétienne avant la Confirmation (la chrismation) et l’Eucharistie. Le Christianisme a perdu peu à peu son caractère secret mais au Moyen Age, il est clair que tout était fait dans l’ordre des choses…

Du point de centre que représentait le puits, les allées dessinent une croix qui figurent les quatre axes du monde, les quatre fleuves de l’Eden. Le jardin est clos et rempli l’espace qu’encadre les différentes parties du monastère. Il est  le centre de la vie monastique tant sur le plan matériel que sur le plan spirituel. De toutes les façons, le jardin est clos : « Elle est un jardin bien clos, une source scellée… ». Dans les quatre carrés, les massifs, carrés eux aussi, symbolisent la terre. Les motifs en arc de ciel, le ciel. Le damier, le vice et la vertu, le bien et le mal.

En fait le puits était le centre du monde monastique et déterminait sa géographie. L’architecture faisait partie du tout, de l’Univers. Les cathédrales et les monastères étaient l’œuvre des hommes qui avait une mission sacrée sinon divine. Les bâtisseurs, qu’ils soient moines (très peu), convers ou familiers recevaient une mission consacrée par la plus haute autorité, l’évêque, le père abbé… De ce fait chaque geste, chaque acte étaient sacrés et participaient à l’Oeuvre de la création initiée par Dieu lui-même. Aussi devait-on mettre le site au diapason de l’univers. Ainsi, le jour du solstice d’été, à la Saint Jean, il fallait déterminer l’emplacement du centre de la future construction. Puisque nous traitons des jardins, considérons simplement la construction des monastères ; au centre devait être implanté un puits dont nous avons précédemment évoqué le sens, en particulier celui recélant la source vitale ; il fallait donc être certain de pouvoir y trouver de l’eau… On plantait alors un jalon dont l’ombre portée déterminait le nord-est. L’orientation était alors déterminée et le tracé régulateur pouvait permettre l’implantation des bâtiments dont l’ordre et les emplacements étaient toujours identiques. Le chevet de l’église abbatiale devait être tourné vers le lever du soleil. Avec une corde à nœuds, on traçait un cercle dans lequel venait s’inscrire un carré puis les différents bâtiments. Le jardin s’inscrivait automatiquement au centre de cet espace et respectait alors les Saintes Ecritures. Avec la corde à 12 nœuds( 13 espaces), il était facile de tracer des angles droits grâce au théorème dit de Pythagore : 3, 4, 5 ; quand un côté mesure 30 cm et l’autre côté 40 cm, l’hypoténuse mesure géométriquement 50 cm. Il n’est qu’à utiliser des multiples pour des parallélépipédiques plus grands. Pour tracer les chemins et déterminer les parterres, on utilisait la même méthode.  

Le nombre dans l’architecture minérale et végétale.

Les mesures des plessis (entourage tressé en châtaigner ou en osier) devaient correspondre à un nombre symbolique multiplicateur du pieds en vigueur dans la région ( le pied utilisé à Troyes mesurait 30,48 cm).De nombreuses combinaisons étaient possible en fonction des impératifs dictés par les conditions géographiques, topologiques mais aussi métaphysiques. Ces dernières étaient alors imposées par le maître des lieux. Ainsi le 1 symbolisait-il Dieu en tant que Principe divin ; le 2, l’homme dans sa dualité (homme-femme, masculinité-féminité, bien-mal, vice-vertu…) ; le 3, la Trinité divine ( la dimension spirituelle nécessaire à la dualité pour trouver son unité) ; le 4 les éléments de la création ; le 5, l’homme parfait par la médiation de la cinquième essence ( cinquième élément). Ce dernier est observé aussi comme combinaison du 3+2 ou du 4+1. Hildegarde de Bingen a développé toute une théorie sur le chiffre 5 comme symbole de l’Homme : « L’homme se divise dans la longueur, du sommet de la tête aux pieds, en cinq parties égales ; dans la largeur, formée par les bras étendus d’une extrémité à l’autre, en cinq parties égales. En tenant compte de ces mesures égales dans sa longueur et de ces cinq mesures égales dans sa largeur, l’homme peut s’inscrire dans un carré parfait… ». Elle n’est pas sans connaître l’homme parfait de Vitruve que dessinera plus tard Léonard de Vinci. ….

Le Chiffre 6, est l’alliance du masculin et du féminin, de la beauté, de la perfection dans la création mais aussi du péché (en premier lieu, le péché d’orgueil. Le 7 représente l’achèvement de la création dans toute sa plénitude, l’homme accompli ; le 8, le Christ, la résurrection et la justice ; le 9, de la gestation, de la connaissance. du cycle de la création humaine ( le cinabre alchimique devient potable à la 9e transmutation ; le 10, la perfection divine ; le 11, le début d’un nouveau cycle humain dans sa lutte intérieure. Le 12 se rapporte à la Jérusalem céleste : elle a 12 portes marquées des noms des 12 tribus d’Israël et son rempart a 12 assises de pierre au nom des 12 apôtres. La femme de l’Apocalypse porte une couronne de 12 étoiles. «Et celui qui parlait avec moi avait une mesure, un roseau d’or pour mesurer la ville, et ses portes et sa muraille (21,15) et il mesura sa muraille : 144 coudées, mesure d’homme, c’est-à-dire d’ange. (Apocalypse 21,17). Cette phrase a été l’inspiratrice de toutes les recherches des savants et des bâtisseurs médiévaux pour trouver la correspondance entre l’édifice religieux et l’homme. Le jardin permettait de comprendre du dedans le message du créateur. Il était une voie d’initiation au mystère divin. La connaissance des simples( des plantes médicinales), de leurs combinaisons et de leurs essences permettait de lever une partie du voile qui, inéluctablement, conduisait à la magie, à l’hermétisme et à l’alchimie. La tentation était trop forte à laquelle les moines s’efforçaient de résister mais que d’autres franchissaient allègrement…

Les maîtres d’œuvre appliquaient donc la science des nombres et des harmonies. La suite mathématique de Fibonacci, consiste à additionner les deux termes précédents (1, 2, 3, 5, 8, 13, 21, 34, 55, 89, 144, 233 etc. …) et le rapport entre chaque terme, 2 /1,  3/2, 5/3… correspond au nombre d’or 1,618 ; le rapport le plus proche de 1,618 est 144/89 et 233/144. Les Anciens avaient remarqué que la croissance des végétaux correspondait à la suite  à laquelle Fibonacci donnera son nom : 1cm, 2cm, 3cm, 5cm, 8cm, etc…, ou bien entendu de leurs multiples. On en déduit donc que c’était Le nombre (1,618) et La suite de la Création. L’architecture de pierre, qui devait être une reproduction développée de l’architecture de bois, devait donc emprunter à la suite de Fibonacci, la croissance végétale. Les piliers aux chapiteaux feuillagés des bâtiments monastiques, furent donc calculés selon ces proportions. Les roses des cathédrales seront aussi inspirées des métaphores de la rose dans la nature de laquelle on appliquera ces proportions. La voûte introduisait le cercle dans l’architecture. Les sumériens, inventeurs de l’écriture 3000 ans avant Jésus Christ, utilisaient déjà le graphisme de la voûte où « l’arc de cercle »  signifiait « le ciel ».

 

 

Les remèdes et les superstitions.

Les sciences du Moyen-Age étaient si peu scientifiques, qu’il n’était pas question de négliger le pouvoir sensé résider dans les nombres. En lisant l’Apocalypse, on avait tout lieu de penser qu’il était indispensable de connaître la science des nombres: « Et je vis une autre bête monter de la terre » (13,11). Et elle fait que tous, les petits et les grands, et les riches et les pauvres, et les hommes libres et les esclaves, on leur mette une marque sur la main droite et sur le front (13,16) pour que personne ne puisse acheter ou vendre, sinon celui qui a la marque, le nom de la bête ou le chiffre de son nom (13,17) ici est la sagesse ! que celui qui a de l’intelligence calcule le chiffre de la bête ; car c’est un chiffre d’homme, et son chiffre est 666. Ce chiffre est un « chiffre d’homme »(Apocalypse de St Jean :13,18), parce que le calcul est à la portée de l’homme, un chiffre correspondait à la qualité d’un homme déterminé. Il fallait aussi tenir compte de l’influence des planètes. Ainsi, selon Roger Bacon, si un médecin ignore l’astronomie, son traitement médical reposera sur la chance et le hasard.

Pour venir à bout des sept démons, capables de causer tous les maux depuis la migraine jusqu’à l’impuissance et la mort, il était recommandé de les lier au moyen de sept noeuds, faits à un mouchoir, à une écharpe ou à une ceinture. Ces croyances étaient universelles, et on les retrouve dans des manuels de magie médiévaux. Il est logique de supposer que la considération superstitieuse qui a toujours entouré le nombre, devait être extraordinairement puissante à une époque de charmes, de philtres, de potions, de sortilèges et d’incantations ; incantations que l’on confondaient, pour la plupart, avec les formules de l’église, et qui étaient dispensées à peu près de la même manière que les pardons et les saintes reliques.

Aujourd’hui encore certains nombres font partie de notre culture, de notre inconscient collectif, de notre vie quotidienne. Ainsi le 11 et le 13 : 11 est un nombre de la transgression parce qu’il va au-delà des dix commandements, de même le 13 va-t-il  au-delà des douze apôtres. Il est le 13 du cycle lunaire et menstruel qui a rendu ce nombre redoutable ou, du moins, impopulaire. Cependant, il existe indiscutablement un lien avec la Cène.(JC et les douze apôtres)

De même, la signification du chiffre 40 vient apparemment de la disparition durant 40 jours des pléiades babyloniennes. Cette période de 40 jours coïncidait avec la saison des pluies. C’était un temps d’ouragans terribles pour le marin, un temps de pluies diluviennes et d’inondations pour le terrien – temps d’épreuves, de dangers et d’exil des étoiles bénéfiques. Le retour des Pléïades donnait le signal des fêtes du Nouvel An. Les connotations du 40 se retrouvent dans les 40 jours de carême, les 40 années durant lesquelles les Hébreux errèrent dans le désert, mais aussi la « mise en quarantaine » ou encore notre célèbre dicton « s’il pleut à la saint Médard, il pleut 40 jours plus tard« ; en fait, il pleut pendant 40 jours, « à moins que Saint Barnabé ne vienne lui couper l’herbe sous le pied« , bien entendu ! Il est passionnant de constater la permanence de la référence multimillénaire babylonienne que fut la référence biblique du Déluge.

 

Le message des plantes et des animaux.

Tout était chargé d’un message : « Tu trouveras plus dans les forêts que dans les livres ; les arbres et les rochers t’enseigneront des choses qu’aucun maître ne te dira » (Saint Bernard). Les cerisiers évoquaient les joies célestes, le tilleul la fraternité, la pomme du Cantique des Cantiques figure la fécondité du Verbe divin, sa saveur et son odeur (selon Origène) ; les fraisiers, la droiture. La fleur est la figure archétype de l’âme tout comme le papillon. Depuis la préhistoire, elle est l’attribut du printemps, de l’aurore, de la jeunesse, de la rhétorique, de la vertu et de la renaissance. Les pâquerettes ou encore les lys représentaient l’innocence et la virginité, les roses rouges, l’Amour divin, le narcisse, le serviteur assidu de Dieu. Leurs couleurs évoquent l’orientation des tendances psychiques : le jaune, symbolisme  solaire, le rougelui est sanguin, le bleu, l’irréalité rêveuse. Le vert représente la renaissance, l’éternité et l’espérance. Au matin, plus subtile que la pluie, la rosée apporte avec elle, la grâce vivifiante.

Si présent dans la sculpture champenoise, le plantain pousse au bord du chemin de ceux qui cherchent la perfection. Les pissenlits contenaient l’amertume de la douleur de la passion. Le laurier ,tout comme le buis est lié, avec toutes les plantes qui restent vertes en hiver, à l’éternité. La courge et  autres calebasses sont associées à la longévité La feuille d’acanthe, toujours représentée sur les chapiteaux,est la fragilité de l’homme devant le péché ; les épines des feuilles d’acanthe, la recherche et le souci des richesses, la concupiscence et les plaisirs de ce monde. Un autre fruit que l’on trouvait en Champagne et qui est porteur d’une symbolique forte : la vigne. Le « messie est comme une vigne » (11 Baruch, 36 s.) Le prophète Isaïe a composé un chant à cet effet :

Que je chante à mon ami

Le chant de son amour pour sa vigne,

Eh bien, la vigne de Yahvé Sabaoth,

C’est la maison d’Israël, et les gens de Juda

En sont le plan choisi,

Il en attendait l’innocence et c’est du sang,

Le droit et c’est le cri d’effroi (5, 1-7)

L’osier des plessis possédait un caractère sacré puisque Moïse fut découvert dans une corbeille d’osier. L’osier et le saule symbolisent le Verbe protecteur. Ils assurent la protection. Le noisetier, dont les fruits se font attendre, exprime la patience et la constance dans le développement de l’expérience mystique. Le proche coudrier si nécessaire pour connaître les sources d’eaux vives est signe de fertilité. Le châtaignier est le symbole de prévoyance, son fruit servant pour l’hiver. Le buisson est censé cacher un trésor et le Buisson ardent qui évoque la présence de Dieu dans la Bible, constituait une métaphore pour désigner la Mère de Dieu. La brouette ,elle, est l’instrument du destin. L’acacia est le bois dur et presque imputrescible avec lequel on fabriqua l’Arche d’alliance ; la couronne d’épine du Christ aurait été tressée en épine d’acacia. L’acacia rejoint donc l’idée d’initiation et des connaissances des choses secrètes. Il représente la renaissance et l’immortalité. Le Frêne, est un symbole de solidité puissante.

Ainsi même les oiseaux avaient un rôle dans le grand mystère du jardin : les chardonnerets étaient associés à la passion du Christ parce qu’ils portaient des marques rouges à l’emplacement du cœur et picoraient des graines de chardon ; la colombe représentait l’Esprit Saint, le rossignol au chant parfait, l’amour ; l’épervier aux serres crochues, la rapacité. Dans l’imagerie populaire, que les moines ne boudaient pas, l’hirondelle annonce le printemps et la fécondité en même temps que la nécessaire séparation. Tout comme le labourage qui est considéré comme un acte sacré de fécondation de la terre,le grain signifie l’alternance de la vie et de la mort.

La grenouille, tout comme en Egypte signifie la résurrection. Le lézard symboliserait l’âme qui recherche indéfiniment la lumière. L’araignée tout comme la corde et l’échelle suggèrent l’ascension. Le cheval a bien entendu une place essentielle dans le bestiaire initiatique : il représente la force et l’instinct maîtrisés et contrôlés alors que son contraire, le dragon figure ‘’la bête-en-nous’’ qu’il faut tuer, autrement dit qu’il faut rejeter. L’escargot représente avec sa coquille, l’évolution de la vie, de la temporalité et de la permanence de l’être,il se trouve lié au cycle des champs.  L’abeille, innombrable, organisée, laborieuse, disciplinée et infatigable représentait bien le moine. C’est aussi une image reprise par leur cousin le Compagnon du Saint Devoir de Dieu. Le mot ‘’chèvre ‘’ a engendré le qualificatif ‘’caprice’’. 

Pour le moine, être alors jardinier à l’image du Christ ressuscité c’est préparer son propre avènement, c’est participer à la mystique chrétienne, tout en recréant le cahier des charges de l’Apocalypse : « Et il me montra un fleuve d’eau de la vie… qui sortait du trône de Dieu et de l’agneau. (22,1) De part et d’autre du fleuve, un arbre de vie…et les feuilles de l’arbre sont pour la guérison des nations. (22,2) et le trône de Dieu et de l’agneau y sera, et ses esclaves lui rendront un culte  (22,3) et ils verront sa face, et son nom sera sur leurs fronts. (22,4) et il n’y aura plus de nuits, et ils n’ont pas besoin de lumière de lampe ni de lumière du soleil, car le Seigneur Dieu luira sur eux, et ils régneront pour les éternités d’éternités ! (22,5).

Conclusion.

Le symbolisme du jardin médiéval est l’aboutissement d’une longue marche à travers les civilisations du Moyen Orient. Les moines en ont été les héritiers et ils ont su faire fructifier leur « talent d’or » (celui, pourquoi pas, évoqué dans la parabole du fils prodigue).  Cultiver un jardin, c’était s’approcher à nouveau du Paradis perdu. A partir de ce jardin, s’est donc développée toute une symbolique qu’ils enseignèrent aux Convers et aux Familiers qui allaient devenir les bâtisseurs de cathédrales et dont leurs héritiers, les Compagnons du Devoir perpétuent encore la Connaissance. Les Compagnons du Devoir ont initiés en 2004 les premiers Jardiniers-Paysagistes. La Tradition est belle  …. et bien respectée…