Dominique Naert - Nous n'avons pas la capacité de changer le monde, mais celle de changer notre propre vision du monde…/… We can't change the world, but we can change our view of it.
 
nov
8

Pensée éditoriale

Ecrit par Dominique

60 morts par suicides, dans le monde du travail, sans plus d’émotion

« Dans les sociétés traditionnelles, le travail avait une dimension liturgique et religieuse ; maintenant, dans les sociétés industrielles modernes, il est entièrement sécularisé. Pour la première fois dans son histoire, l’homme a assuré la tâche de « faire mieux et plus vite » que la nature, sans avoir à sa disposition cette dimension sacrée qui rend le travail supportable dans d’autres sociétés. Cette sécularisation radicale du labeur humain a eu des conséquences telles que l’on peut les comparer avec celles qu’impliquaient la domestication du feu et la découverte de l’agriculture ». (Mircea Eliade – Le mythe de l’alchimie).

 

Sans doute est exprimé ici le début d’une réponse concernant un problème complexe qui aboutit à 60 morts par suicide chez France Télécom ; ce cas, ici extrême, n’est pourtant pas unique. Le stress sévit dans la plupart des entreprises et des institutions. 200 paysans se suicident par an en France et personne n’en parle !!!!  Illustrer ce drame par cette citation d’Eliade n’a pas pour but de proposer la réinstauration d’une quelconque pensée religieuse dans une société que nous souhaitons laïque. Mais c’est bien un sens certain du « sacré » qui permet à l’individu de s’inscrire dans l’histoire du monde et donne ainsi, un sens à sa vie. Donner un  sens à notre vie nous permet de transcender nos actes dans une spiritualité qui peut rester purement laïque. Le sens du sacré donne un élan à la vision que nous avons du monde. En définitif, le monde économique postindustriel, et rationaliste s’est désenchanté ; or, cette posture a négligé l’imaginaire de l’homme, sa nécessité de se construire un espace intérieur de liberté, sa capacité de créer jusqu’au-delà des limites de la raison humaine. Et c’est cet espace intérieur, intime qui est réellement sacré. C’est en lui donnant un objet de quête que l’être se réalise. La quête ouvre la voie au héros enfoui en nous…

 

Or, l’économie a décortiqué le travail jusqu’à créer des tâches en remplacement de qualifications qui permettaient de réaliser un ouvrage dans sa totalité ; le travailleur, homme de métier ou employé, y recevait plus qu’un salaire, mais une reconnaissance qui fondait sa dignité. L’économie a vidé le travail humain de sa substance édificatrice des individus.  Elle a désenchanté le monde du travail. Seulement, voilà…le désenchantement est anxiogène, déprimant, suicidaire.

Nous connaissons tous cette petite histoire des trois tailleurs de pierre qui illustre cette idée de « valorisation par l’imaginaire » : « Un pèlerin en route vers Chartres voit un type fatigué, suant, qui casse des cailloux. Il s’approche de lui : Que faites-vous ? – Vous voyez bien, je taille une pierre, c’est dur, j’ai mal au dos, j’ai soif, j’ai chaud. Je fais un sous-métier, je suis un sous-homme. Continuant, il voit plus loin un autre tailleur de pierre ; Que faites-vous ? – Eh bien, je gagne ma vie. Poursuivant son chemin, le pèlerin s’approche d’un troisième tailleur de pierre, souriant, radieux : Moi, Monsieur, dit-il, je bâtis une cathédrale ». Boris Cyrulnik commente cette métaphore : « Le fait est le même, l’attribution du sens au fait est totalement différent. Et cette attribution du sens vient de notre propre histoire et de notre contexte social. Quand on a une cathédrale dans la tête, on ne casse pas les cailloux de la même façon ». Boris Cyrulnik “Les clés du bonheur”.

Comment pouvons-nous recommencer à bâtir des cathédrales dans nos entreprises ? Nous sommes ballotés sur des bateaux ivres, battant pavillon de masse. Des bateaux qui ont perdu le nord. Or, nous devons retrouver un nord, d’abord collectif, qui orientera notre quête intérieure individuelle. Nous serons, dés lors, capables à nouveau de déplacer des montagnes, transgresser nos limites, dans une aventure humaine où nous devons inéluctablement jouer collectif, si nous voulons éviter les trous noirs de l’histoire.

C’est un de ces trous noirs béants qui nous attend et qui attend ces responsables d’entreprises qui ne se voient pas coupables…

 

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Le  secret de la vie

Le chef Ting, boucher du prince Wen-Hui, dépeçait un bœuf. Sans effort et méthodiquement et, comme dans une danse, son couteau détachait la peau, tranchait les chairs et disjoignait les articulations.

-« Vous êtes vraiment habile », lui dit le prince, qui le regardait faire.

-« Tout mon art, répondit le boucher, consiste à connaître le Tao (principe) du bœuf, cela va au-delà de l’habileté. Au début, je pensais au bœuf. Après trois ans d’exercice, je commençais à oublier l’objet. Maintenant quand je découpe, je n’ai plus à l’esprit que le Tao. Mes sens n’agissent plus et je ne vois plus le bœuf. Seul mon esprit me guide, au-delà de toute perception et de toute compréhension. Suivant les lignes naturelles du bœuf, mon couteau pénètre et divise, tranchant les chairs molles, contournant les os, faisant sa besogne comme naturellement et sans effort. Et cela, sans s’user, parce qu’il ne s’attaque pas aux parties dures. Un apprenti débutant use un couteau par mois. Un boucher médiocre use un couteau par an ».

Le même couteau me sert depuis 19ans. Il a dépecé plusieurs milliers de bœuf, sans éprouver aucune usure. Parce que je ne le fais passer que là où il peut passer ».

-« Merci dit le prince Wen-Hui au boucher ; vous venez de m’enseigner comment on fait durer  la vie, en ne la faisant servir qu’à ceux qui ne l’usent pas. » Tchouang-Tseu (chapitre 3)

L’homme devrait comme le couteau du chef Ting, abandonner l’opposition entre l’Homme et le monde extérieur, et suivre l’inclinaison naturelle des choses. Il cesserait ainsi de se blesser lui-même. Jiang Sheng

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APPRENTISSAGE 2011 

L’état français vient de prendre fait et cause pour l’apprentissage. 

En effet, la technocratie semble découvrir la capacité d’intégration de ce type de formation. 

Mais sans doute faudra-t-il encore du temps pour comprendre la dimension ontologique de l’apprentissage ; autrement dit, sa capacité de structuration mentale et psychique de l’adolescent. 

En effet, l’apprentissage n’est pas simplement utile à l’adaptation de la jeunesse au travail ; il est une la forme la plus aboutie de la découverte de la connaissance humaine (à partir de son propre esprit). 

L’occident semble revenir de son système de consommation: on constate une amorce de conversion de ses valeurs…Ses avoirs et le changement de centre de gravité de la carte économique mondiale l’y oblige. Le troisième millénaire sera consacré à la technologie et à l’environnement, c’est évident ; mais sur le plan humain, il sera tourné vers l’être et relativisera l’avoir qui sera inévitablement décroissant en Occident pendant une longue période : nous aurons à modifier notre mental. C’est donc notre mental qui devra évoluer, tant au plan éthique que technique. Notre imaginaire sera sollicité pour parvenir à vaincre des barrières physiques. Notre attention devra donc porter sur notre formation mentale afin de s’adapter aux changements permanents du monde. Notre conscience devra être plus ouverte et plus vive tout en revenant aux notions de lenteur. Il faudra être en capacité de comprendre le temps si ce n’est de le maîtriser. La vitesse est porteuse de stress et l’adaptation véhicule l’insécurité. Une angoisse existentielle que nous palpons déjà. Nous devrons convertir l’avoir et le mettre au service de notre bien-être. Des rites et des temps qu’il faudra ménager pour la convivialité. Il nous faudra convertir des traditions pour les reprendre à notre compte. La maîtrise de notre mental sera le nœud de notre évolution et de son humanité. Les rites de passage entre l’enfance et la vie adulte devront compléter l’éducation intellectuelle et physique et devra prendre le pas sur les rites d’appartenance aux bandes et aux systèmes de consommation. Notre connaissance de plus en plus approfondie de notre cerveau et de son mental nous permettront de grandes évolutions si nous mettons cette science au service de la liberté et du bien-être de l’être humain. 

 

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« L’apprentissage d’un métier manuel est beaucoup plus que l’acquisition d’un savoir technique : C’est une initiation nécessaire entre l’enfance et la vie adulte ; peu importe ensuite que l’adolescent quitte le métier pour continuer des études longues : plus que du savoir-faire, il sera désormais pourvu de savoir-être au monde adulte ».

 

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UNESCO: « Le Compagnonnage » et « la dentelle au point d’Alençon » ont également été inscrits sur la liste générale du patrimoine immatériel de l’humanité en même temps que le « repas gastronomique des Français ».Le premier écrit sur le compagnonnage est conservé à la Médiathèque de Troyes et date de 1419. 

Nous savons aussi que son origine est monastique  et leur rattachement aux cisterciens et aux Templiers est avéré. Les historiens du Compagnonnage cite le « deverium » de 1276 qui régît les Ferrons de la forêt d’Othe comme la première manifestation du Compagnonnage du devoir en France. Il tire aussi sa genèse des bâtisseurs de cathédrale.  

Ce qui est mis ici en valeur, ce ne sont pas les compagnons en tant que tels mais la pédagogie traditionnelle du compagnonnage. C’est son savoir-faire au plan technique bien sûr, mais plus fondamentalement, en ce qui concerne le savoir transmettre qui place le jeune homme de métier entre tradition et innovation ; la méthode compagnonnique s’appuie sur le métier, la vie en communauté qui convie à la socialisation, le voyage à la rencontre des hommes et des techniques, l’initiation comme rite de « consciencialisation » à la vie adulte.  

Le compagnonnage a pour devise, « ni se servir, ni s’asservir mais servir » et comme fondement la formation à la vie d’homme au travers d’un métier manuel. Le métier est un support d’humanisation. Le compagnonnage s’attache au progrès mais dans l’intérêt exclusif des hommes, de tous les hommes. 

Le compagnonnage est un transmetteur d’humanité et c’est ce que l’UNESCO a mis en exergue en l’inscrivant sur la liste du patrimoine universel de l’humanité.