Dominique Naert - Nous n'avons pas la capacité de changer le monde, mais celle de changer notre propre vision du monde…/… We can't change the world, but we can change our view of it.
 
déc
7

Lettre aux francs-maçons

Ecrit par Dominique

Mesdames et Messieurs les Francs-maçons,

Je vais commencer mon propos par l’idée fondatrice de la Maison de l’Outil et de la Pensée Ouvrière à Troyes : « L’Homme devient homme en devenant l’homme d’un métier manuel. » (Paul Feller, le fondateur des collections)

 

Et sur cette assertion là, vous ne pouvez qu’être d’accord, vous Francs-maçons, n’est-ce pas ? J’en veux pour preuve l’utilisation par la Maçonnerie de symboles de métier et de rites issus des métiers, comme vecteur d’humanisation.

C’est donc à des spécialistes que je m’adresse.

Pour autant, il m’apparait que le franc-maçon a parfois une attitude, disons… paradoxale. Ainsi donc aura-t-il toujours du mal, me semble-t-il, à préconiser à son entourage ce qui pourtant  le construit au plan personnel avec des approches différentes bien sûr.

Or, c’est bien ce paradigme-là, le Devenir Homme, qui nous rassemble et qui nous motive, nous hommes de métier et Compagnon du Devoir mais aussi vous Francs-maçons  puisque nous sommes sur la voie de notre humanisation, certains diront : de notre surhumanisation.

Et c’est aussi dans ce processus que nous avons en commun et que nous qualifions parfois d’alchimique que se fonde la conviction que «l’être» s’épanouit par transmission ;

  • Pour nous Compagnons, une transmission par mimétisme, par l’exemple et l’échange «tacite» avec un maître digne : Paul Feller, le fondateur des collections de la Maison de l’Outil et de la Pensée Ouvrière à Troyes expliquait que « Le jeune, par delà les attitudes et les mouvements de l’ancien, devine son cœur, qui lui livre le métier ».  
  • Mais une transmission aussi par le contact avec la matière et la nature, par le contact avec l’univers et ses lois.

Et si nous analysons la transmission maçonnique, elle se réalise aussi par l’exemple et l’échange «tacite» avec les maîtres ; et à l’exemple du maçon de métier, elle s’ingère  aussi par le contact avec la matière même si ce contact se réalise par les voyages à l’intérieur de l’imaginaire, ce que Bachelard a expliqué dans son étude des 4 éléments, sans pour autant être, lui-même maçon. Puis, comme le jeune compagnon du devoir, le franc-maçon  redécouvre la nature, l’univers et ses lois.

Nous ne sommes effectivement pas loin de penser, Maçons et compagnons, chacun à notre manière, tout comme l’auteur de l’acrostiche célèbre VITRIOL (Basile Valentin) que l’apprenti doit opérer une véritable projection dans la pierre, si brute soit-elle à l’extraction… Autrement dit, l’apprenti doit vivre un échange qui ne va pas de l’intérieur vers l’extérieur, mais au contraire, cet échange ira de l’extérieur vers l’intérieur ; dans ce cas seulement, l’apprenti subit une transformation : il s’universalise tant au plan mental, moral que spirituel. Pour les deux, le voyage se situe désormais dans l’imaginaire. Si je voulais paraphraser les mots de Bachelard je dirais « qu’Ils imaginent richement » grâce à l’observation des archétypes physiques représentés par des symboles, que l’homme de métier manuel manipule à longueur de temps.

Pour nous, Hommes de métier, la matière régie par les lois universelles permet à l’être en évolution physique, psychologique et spirituelle, de s’étalonner à « l’univers ». Un étalonnage qui nous permet d’harmoniser tous les composants chimiques, électriques et magnétiques de notre corps … L’objectif du Compagnonnage, n’en déplaise à certains, est bien la formation de l’Homme par le métier ; le métier est fondamentalement « transmetteur d’humanité » pour l’adolescent.

Pour nous, la matière est un étalon juste, vrai, précis par lequel l’adolescent se jauge. D’ailleurs, Bachelard notait que « la matière dure va nous être révélée comme une grande éducatrice de la volonté humaine, comme la régulatrice de la dynamogenèse du travail… ». Elle va nous être révélée ; autrement dit, nous n’en sommes encore pas conscients, nous, peuples occidentaux.

Lui, nous fait prendre conscience que la matière nous enseigne et nous construit, nous oblige et donne un sens à notre vie, nous fait participer à la création et nous révèle la vérité. Si donc, ce que nous créons dans notre imaginaire, se vérifie dans la matière, alors nous apprenons la vérité. Sinon, tout n’est qu’hypothèse, illusion, fantasme.

Nous devons dès lors comprendre que l’homme n’est pas seulement un cerveau, mais que l’être humain est aussi composé d’un corps, d’une âme, d’un esprit ; Qu’il faut donc expérimenter, avant d’évoluer vers l’abstraction et la conceptualisation.

Comprendre aussi que les passages graduels des niveaux de conscience vont, chez l’homme, de l’extérieur vers l’intérieur, « de la substance » à l’esprit, de la matière à l’intelligence. Et ainsi, abandonner l’intellectualisme qui sait, au profit de l’intellectualité qui connait, vivre ce que l’on est et non plus paraître ce que l’on sait. Toutes les initiations traditionnelles procèdent ainsi, à quelque endroit du globe et quelque soit l’ethnie.

Toutes initiations montrent à l’impétrant le chemin de la réalité ontologique fondée sur les 4 éléments ; Dans toutes les initiations, celui-ci est invité à prendre conscience de la matière grâce à laquelle il doit opérer une catharsis véritable, une purification avant de s’engager sur la voie de la psyché et de l’esprit. Ce rite est plus certainement exprimé dans les initiations nourries de la culture alexandrine, pour autant, l’idée est présente dans les plus primitives.

Son imaginaire est confronté à la matière ; elle est là comme révélatrice de sa condition humaine et comme fondement du processus d’expression de sa part universelle, intemporelle et libre qu’il ne soupçonnait pas ou peu jusqu’alors. A partir de là, il pourra reconstruire un autre système basé sur cette empreinte, sur la justesse et la liberté, il pourra élever son âme et transcender son Esprit. En reprenant conscience de son corps, il prendra le chemin de la connaissance.

C’est ce qu’exprime Rodin : « Les mains sont l’instrument de la création, mais d’abord l’organe de la connaissance ». (Auguste Rodin). Anaxagore affirmait déjà que « l’homme pense parce qu’il a une main ». La philosophie d’Aristote lui-même est un système de pensée se formant à partir de la matière et de la forme.

Quant aux anthropologues, ils supposent que l’homme primitif n’est devenu homo sapiens que parce qu’il était auparavant homo faber. En fait, la distinction entre intellectualité et technique se retrouve dans la spécialisation relative des centres cérébraux qui commandent l’action et l’enregistrent, suscitent les gestes du corps et l’émission de la parole, animent la main de l’homo faber et les organes d’expression de l’homo sapiens.

C’est sans doute ce pourquoi l’outil est devenu symbole chez les Compagnons et chez les Francs-maçons. Les outils du Maçon qui bâtit des Temples, la demeure des dieux ; les outils du Forgeron qui maîtrise le feu et fond le fruit des entrailles de la terre-mère ; ou ceux des agriculteurs qui ensemencent cette même mère : tous ces outils semblent encore chargés d’enchantement et de messages à transmettre… Ils étaient les instruments de création d’hommes aux mains magiques, aux qualités quasi divines qu’ils vont revendiquer eux-mêmes, conscients de l’or qu’ils détenaient.

C’est sans doute le forgeron qui a été le principal agent de diffusion des mythologies, des rites et des mystères métallurgiques ; ceux qui ont lu Mircea Eliade, « Forgerons et Alchimistes » savent de quoi je parle. Et nombreux sont les Héros antiques, mi-dieux mi-hommes, métallurgistes et forgerons, qui continuaient l’œuvre de la Création : Tubalcain descendant de Caïn, le premier des forgerons ; Vulcain ou Héphaïstos, le dieu forgeron romain et grec ; Hiram, le fondeur des colonnes du temple de Salomon…

Dans les sociétés archaïques, on donnait et on donne encore pour certaines, aux métallurgistes ou aux forgerons le pouvoir de changer le mode d’être des Substances. Et avant eux, le premier potier était déjà considéré comme un être hors du commun, certainement un magicien et tout ce qu’il utilisait, ses outils, son feu, était tabou pour l’homme « ordinaire ».

Mais, le travail du métal nécessite encore plus de patience et de science, d’observation et de silence, de puissance de feu et d’outils adaptés, de rites et de transgressions, de courage et de génie. Et ce sont là précisément, les origines des mythes, des rites et des symboles. Un symbolisme dont ont nécessairement bénéficiés les outils.

Ainsi, outils et symboles graphiques relèvent du même processus d’humanisation et de la même fixation des techniques.

Et il nous faut envisager le travail humain sous ces 2 aspects, aujourd’hui séparés, le physiologique et le spirituel ; ce processus reste le véritable chemin d’une compréhension existentielle de la Vérité. N’est-ce pas ce que vous cherchez en loge ?

Or, un homme n’est pas dans la vérité parce qu’il la pense ou l’affirme, mais parce qu’il la vit ; Il l’exprime dans un acte probatoire, créateur du fait en même temps que de l’idée. Alors l’initiation au métier devient aussi une initiation à la vie tout court. Le tailleur-de-pierre qui tient dans ses mains une pierre, tient un échantillon d’univers : cet échantillon répond aux lois de l’univers, à sa gravité, à sa masse et à sa franchise diraient les francs-maçons. Le tailleur de pierre vit la réalité cosmique que les francs-maçons, ont en point de mire. Il ne suffit plus qu’il étende à toutes les choses de sa vie, son attitude à l’égard de la matière.

Action et contemplation, rationalisme et pensée, sont les limites extrêmes du travail humain. Il est dangereux de penser les idées pures et difficile d’être toujours présent à l’éternité sans agir. Là encore, nous nous retrouvons, puisqu’entrer en Franc-maçonnerie, c’est entrer en action, c’est prendre son être en main, tout au moins son devenir.

L’essentiel consiste dès lors à ne pas se laisser asservir par le travail et « créer sans posséder, travailler sans retenir, produire sans dominer» selon la belle formule de Lao-Tseu. Ce que les Compagnons du Devoir expriment par leur devise : « ni se servir, ni s’asservir, mais servir ! ».

Car à l’origine du métier, c’est l’individu qui exerce sa liberté comme pouvoir de dire non au milieu donné ; il exige que ce qui est absent devienne présent, de dire oui à ce qui n’est pas encore. Ce manque exprimé, c’est le désir dans lequel la liberté de l’individu se pose, par lequel l’individu se transforme en projet.

Ces projets sont aussi forts que de bâtir des Temples quels qu’ils soient, pourvus qu’ils soient en harmonie avec l’Univers et pour ceux qui croient, en harmonie avec le Créateur ; c’est dans l’acte que l’homme se réalise vraiment.

Besoin et désir se conjuguent pour donner un sens à la vie de l’adolescent-apprenti et pour l’arracher à sa paresse naturelle. L’outil lui est alors utile. Une utilité dont il tire son étymologie. 

L’homme de métier éprouve son « pouvoir moral » par l’attention qu’il porte à son ouvrage ; Il est à la source du rythme de son action, et il échappe à l’immédiat.

Dans le résultat de son travail, l’homme découvre son humanité puisque  son œuvre se révèle universelle, tournée vers autrui, utilisable par tout être humain : Il s’éprouve comme une force éclairée par l’intelligence et l’invention, comme une origine et comme une liberté ; il y reconnaît sa liberté comme pouvoir de marquer la nature du sceau de son humanité.

En effet dés les origines, l’homme a mis dans l’outil qu’il a créé du savoir faire, de l’imagination, de la patience, un sentiment du possible bien contrôlé, un sens précis de ses actes ; et d’une façon générale, il a utilisé toutes ses facultés mentales dont l’homme contemporain manifeste encore l’usage dans des actes que l’on croit supérieurs et très différents. C’est toute la démarche qui a prévalu à l’appropriation de l’outil et d’un métier par les géniteurs de la Franc Maçonnerie.

Nous devons donc, tant au regard du primitif que de l’homme contemporain, considérer l’outil comme le principal et suffisant témoin des acquisitions humaines. Et c’est ce témoignage particulier que les Maçons interrogent inconsciemment. Ils doivent y chercher les signes des seuils du passage à l’universalité de l’Homo Faber qu’ils tentent de retrouver au premier degré.

C’est ce pourquoi, sans doute, les Maçons prêtent à l’outil une signification qui relate la nature fondamentale de l’homme depuis le début de l’humanité. Nous pouvons donc légitimement comprendre cet attachement à l’outil comme une velléité de recherche de son intimité profonde.

Et, parce qu’il s’agit en l’occurrence, depuis la préhistoire jusqu’à nous, d’actes successifs, de manifestation de pensées exclusivement ouvrières où l’homme de science pure, l’intellectuel pour tout dire, n’a aucune part, où il n’intervient jamais, tout porte donc à croire que cette mélancolie plonge dans les territoires insondés et irrationnels des individus, au temps où chacun de nos ancêtres étaient hommes de métier ;

C’est ce que montre le méta-langage utilisé par les Maçons qui puise dans cet irrationnel des origines. L’exploration des profondeurs inconscientes des maçons n’est-elle pas éclairée par l’évocation des symboles d’outils de bâtisseurs ? De fait, le rite sollicite votre imaginaire-vrai grâce à l’outil et c’est ainsi que vous visitez votre terre-Adama. Cette descente chtonienne est aussi nécessaire à la spiritualité que le labour à la culture.

Et ce processus rituel qui emprunte la voie de « l’onirisme des archétypes qui sont enracinés dans l’inconscient humain » (G. Bachelard – La terre ou les rêveries de la volonté) sait que l’outil, loin d’être le prolongement de la main, est un transmetteur. Transmetteur d’énergie, soit, mais plus encore, transmetteur d’humanité. Il fait non seulement ce que veut l’homme, mais il fait ce qu’il veut devenir : Homme, dans sa dimension universelle et humanisée ».

De son côté, l’adolescent qui manipule l’outil connaît une véritable promotion d’être. Il apprend la patience, intègre la notion de temps nécessaire à la bonne exécution d’une œuvre en fonction de la matière travaillée, de sa dureté et de sa complexité.

-      Une notion de temps obsolète, absente du monde de plus en plus virtuel, vous en conviendrez !

Une notion que l’individu vivra de l’intérieur en se concentrant sur son ouvrage. Il doit rassembler son énergie et son attention pour ne pas se taper sur les doigts soit mais aussi pour obtenir l’effet escompté. Et les lois cosmiques que possède le matériau travaillé sont instantanément respectées. Le temps ainsi dépensé, qui coule tout d’abord lentement pendant l’apprentissage puis, progressivement plus vite à force de maîtrise, concourt à l’élaboration de sa vision du Monde et au progrès ; il concourt à son propre devenir.

Et ce rapport dureté-durée lui permet d’accéder à la notion d’espace-temps connecté à notre planète ; c’est cette même dimension spatio-temporelle qui connecte le Franc-maçon au sacré.

L’outil permet le dialogue avec la matière ; il provoque la catalyse de l’acte de l’homme de métier. Il est «le contacteur de l’univers», ce qui fait dire à Feller : «L’homme, grâce à l’outil, se sent communier avec l’Univers entier ».  «Manipulant l’outil, l’ouvrier s’universalise en se particularisant», «il retrouve l’universalisme de sa vocation humaine». L’apprenti, en devenant homme de métier forge sa personnalité en se «concentrant» sur l’ouvrage. «Ainsi, l’outil, dans son emploi, apparaît non plus comme extrapolation indéfinie de la main, mais comme concentration restrictive et non pas de la main, mais de l’homme tout entier»… qui «retrouve ainsi son unité perdue».

L’outil est donc un media qui permet à l’adolescent en quête de sens, en inévitable déséquilibre mental, moral ou physique, d’absorber toute l’énergie concentrée dans la matière. Cette expérience est donc proprement initiatique.

Dans «La Terre et les Rêveries de la Volonté», Bachelard nous explique que : «par le marteau ouvrier, la violence qui détruit est transformée en puissance créatrice…

C’est ce que l’adolescent ressent dans son corps qui se transforme par l’action répétée de son geste. Sa vigueur canalisée le surprend et lui ouvre des perspectives jusqu’alors ignorées. Concentré sur son ouvrage, il reprend confiance en lui, il devient fort, même si ses doigts sont endoloris par sa maladresse ; il apprend à se connaître lui-même. Il apprend à être juste, à voir, à entendre, à considérer et à agir juste.

Et il apprend aussi à garder le silence.

- N’avez-vous jamais remarqué combien les hommes de métier sont des taiseux ?

Vous savez, sans doute, que le mot « mystique » vient du grec μυάω muaô qui signifie « se taire », « être silencieux ».

Alors si l’outil renferme des secrets, sans doute transmet-il à celui qui le manipule, le sens fondamental du sacré ? Et c’est en cela que l’individu accède, par régression et transgression du secret intime et inviolable, à la véritable connaissance… la connaissance de lui-même.

Dès lors, « Il Est ce qu’il connaît ».

Et c’est ce que nous devons faire pour Être.

Connaître donc pour être.

L’homme de métier dépasse l’intellectualisme qui sait et accède par son art à l’intellectualité qui comprend, qui prend avec lui, n’est-ce pas ? Ce qui signifie qu’il prend conscience : de fait, il se consciencialise. Il accède progressivement à la sagesse. L’homme de métier emprunte la voie de l’individuation qui passe de la foi du disciple qui croit et qui s’abandonne à la science du maître qui connait et qui maîtrise. Il possède la connaissance qui n’a rien d’idéal. Il ne peut perdre le bénéfice de son savoir, puisque, répétons-le : « Il est ce qu’il connaît ».

Il passe ainsi progressivement de l’état d’imperfection à l’état de perfection ; « De pierres mortes, transformez-vous en pierre philosophales vivantes », nous propose le vieil alchimiste (Dorneus – Alchimiste allemand du 16e S. Disciple de Paracelse). « Pour ce faire, il exige que l’adepte s’élève à la hauteur de sa tâche, ce qui signifie qu’il doit accomplir en sa propre personnalité le même processus qu’il exige de la matière » commente C G Jung (Psychologie et Alchimie). C’est ce que propose, me semble-t-il,  la maçonnerie à l’apprenti FM. « A la suite de la projection, il s’établit une identité inconsciente entre la psyché de l’Alchimiste et la substance de l’arcane, c’est-à-dire l’esprit emprisonné dans la matière », continue encore Jung.

C’est cette transmutation qui est promis à l’apprenti spéculatif mais que l’opératif vérifie jusque dans ses tripes. C’est de cette tradition qu’est née la Franc-maçonnerie. C’est donc cette tradition que les Francs-maçons doivent participer à revivifier.

En conclusion, dans la mesure où les métiers sont partie prenante de l’hominisation, où leurs rapports avec la connaissance, la création, l’art, la religion ou l’organisation sociopolitique sont reconnus dans une évolution qui part de la préhistoire,  il est temps de reconnaître aux métiers leur dimension initiatique et culturelle.

Confronté aux limitations d’un univers souvent impénétrable, l’Homme  a conçu de vastes projets qui lui permettaient, dans un premier temps, d’assurer sa survie, ensuite de surmonter ses interrogations  mais pour réaliser ces projets,  purs produit d’une élaboration abstraite, l’Homme s’est doté d’objets intermédiaires, d’objets-passerelles  qu’ il a créés,  en y enfouissant toute son ingéniosité, son expérience et son corps à corps  avec la Nature. L’intelligence  pratique du geste  a donc sans cesse accompagné l’intelligence théorique du concept. Loin de s’opposer, elles ne forment qu’un.

Pour rendre leur communication universelle, les Hommes des Lumières ont utilisé des outils symboliques, outils d’identification  qui permettent de rendre compte d’un Travail, effectué d’abord sur soi, en vue de réaliser  une construction collective permettant  à l’Humanité de progresser. Il vous incombe à vous Maçons de rechercher avec patience, persévérance et exigence le sens profond de ces quelques outils de l’apprentissage initiatique qui permettent non seulement de jeter un pont entre les manuels et les intellectuels mais aussi de partager leur savoir-être au monde. 

C’est aussi à vous, maçons, qu’il incombe de militer pour que jamais, des hommes de métier, vos frères ne soient considérés comme des outils de moindre intérêt que les machines et ce, en vue de la seule rentabilité. Ainsi, pourrez-vous exercer en toute honnêteté votre métier d’homme.

Une humanité qui transpire de l’homme qui a été initié ; une initiation que vit l’adolescent qui a fait un apprentissage d’un métier, peu importe le parcours qu’il réalisera plus tard…

En effet, les outils permettent le passage de la matérialité à la spiritualité. C’est dans le geste, le « poiein » grec qui-soit dit en passant  a donné le mot poiêtes=  poète- c’est donc de ce toucher premier  que sont sortis  les mots qui s’organiseront en poèmes et concepts, les sons qui s’uniront en symphonies, les colonnes qui soutiendront vos temples.

Je terminerai par un court texte de Paul Feller, le fondateur des collections de la Maison de l’outil et de la pensée ouvrière :

« Pratique, beau, divers, l’outil transpire l’unité de l’homme qui l’a conçu, utilisé, soigné, transmis. Particulier en son utilité, il sue bien d’avantage encore l’unité d’un homme dont toute porte à penser qu’il n’est devenu « faber » qu’à force de s’être voulu « sapiens ». Rustique souvent, orné presque toujours il procède davantage du sacré que du profane. Il est vif, vigoureux, franc et, plus encore qu’efficient il fait non seulement ce que veut l’homme mais il fait de l’homme ce qu’il veut devenir. Etant ici ceci et là cela, partout il est semblable à soi-même, le signe d’un mieux vivre dont la plus-value assure à qui s’en sert adroitement le pain dans la main. Le couteau pour couper bien doit couper mieux. Là, plus profondément que ce qui le sépare des autres, l’homme en tant qu’il est « faber » se montre au plus haut point « sapiens », là, l’homme passe l’homme. A qui veut entendre les outils nous dirions, le prenant entre vos mains pour vous en servir -ne fusse qu’en esprit-goûter l’homme qui vit en vous, universel ». (Paul Feller)

Dominique Naert

Maçon de métier.

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