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La Cuisine champenoise, la cuisine des foires.
La cuisine champenoise s’inscrit dans une tradition deux fois millénaire qui illustre à l’envie l’histoire de notre civilisation. On peut dire, sans exagérer, que toutes les habitudes culinaires des différents pays occidentaux proviennent d’un héritage commun. Bien que différenciées par la suite, elles conservent à travers leurs particularismes mêmes les traces évidentes de leurs origines semblablement médiévales.
En Italie comme en Angleterre, en France aussi bien qu’en Allemagne, on retrouve certaines recettes trop proches les unes des autres pour que ce soit un hasard. L’emploi similaire du miel, des amandes, du gibier, des fèves et des choux dans tout l’Europe nous enseigne sur nos origines communes ! Un pot-au-feu, une choucroute, un pilaf, un bortsch ne sont pas aussi étrangers les uns aux autres qu’ils en ont l’air. Les Celtes les consommaient déjà aux banquets de Beltaine.
Née du mélange de ce qui demeurait de l’art culinaire gallo-romain avec les coutumes barbares importées par les envahisseurs de tout poil qui ont brassé l’Europe, la cuisine champenoise a su se créer une originalité bien à elle dont les dominantes essentielles ont traversé les âges. Avant le 13ème siècle, nous ne disposons d’aucune source valable ; en ce qui concerne la France, il en est tout autrement ensuite et nous pouvons consulter des livres de maîtres queux confirmés à partir du règne de Philippe le Bel. Les premiers ouvrages dont nous disposons sont encore rédigés en latin mais, très vite, on en trouve en langue ordinaire, c’est-à-dire en français. Le « Tractatus de modo preparandi et condiendi omnia ciberia »; le « Liber de coquina », d’abord, puis le « Livre fort excellent de cuisine », le fameux « Viandier » de Taillevent, le plus célèbre, ou « Le ménagier de Paris », nous permettent d’accéder à une grande quantité de recettes qui nous renseignent parfaitement sur les façons de faire de nos ancêtres quand il s’agissait pour eux de se nourrir.
De la fin du 11ème jusqu’au 15ème siècle, il y a moins de dissemblance entre l’alimentation populaire et celle des classes moyennes, voire celle des seigneurs, qu’il n’y en eut, par la suite, au siècle de Louis XIV ou au temps de Napoléon III. Il n’est que de lire les « Fabliaux » ou « Le Roman de Renart » pour constater qu’il y est souvent question de paysans se nourrissant de bons pâtés de chair ou de poissons, d’oisons rôtis, de gros jambons fumés dans l’âtre où se trouvaient aussi pendus des chapelets de saucisses ou de cervelas. Il est bien certain que tous les paysans ne bénéficiaient pas d’une pareille aisance et qu’il y eut des périodes cruelles de disettes ou de famines aux XIème, 12ème et 14ème siècles, mais il est clair, néanmoins, qu’on a noirci le sort de ces « vilains » qui n’étaient pas tous misérables. Dans le même esprit, plusieurs historiens ont signalé que le mot « racines » désignait tout bonnement les légumes qui poussent dans la terre, à même le sol, comme les carottes, navets, raves et radis ; et que les « herbes » dont il était également question désignaient simplement des plantes potagères comme le persil, le thym, la sarriette, les ciboulettes ou la sauge, dont nous agrémentons encore à présent nos préparations.
Soulignons aussi l’ordre des différents services. On mélangeait sans crainte le sucré et le salé et il n’était pas rare de manger des fruits ou de la salade pour commencer, de consommer le poisson (dont on faisait grand cas) après le rôti, ni de terminer par le fromage qui passait pour aider la digestion.
La lecture des menus de fête médiévaux présente donc à des yeux habitués à une autre manière de procéder un désordre apparent, mais ce qui nous surprend le plus est l’abondance des plats servis. Il ne faut pas, cependant, oublier que les convives de ces festins ne prenaient pas tout ce qui leur était présenté. Ainsi que nous le faisons maintenant dans les restaurants, ils choisissaient parmi les mets offerts ceux qu’ils préféraient. Il leur arrivait parfois de ne pouvoir accéder qu’aux aliments placés sur la table devant eux, ce qui limitait singulièrement leur choix. Nouvelle constatation : jusqu’au 13ème siècle, on n’utilisait pas de fourneaux. Tout était cuit dans les vastes cheminées à « manteaux » qui ornaient la salle. Les landiers de fer qui supportaient les bûches se terminaient à leur partie supérieure par des récipients creux contenant des braises. On y posait pots et poêlons pour le mijotage. Cependant les reines incontestées du foyer restaient la broche et la marmite léchées par le feu.
Ne pas confondre non plus les innombrables « potages » du temps qui étaient tout autre chose que ce que nous qualifions de la sorte. Il s’agissait alors de viandes et de légumes cuits ensemble dans des pots (d’où leur nom), ce qui les différenciaient des rôts. Ils étaient beaucoup plus proches de nos potées que de la soupe à laquelle nous sommes accoutumés.
Quant aux pâtés, si répandus alors, on en faisait grande consommation, tant de volailles que de poissons, d’abats ou de légumes, parce qu’ils présentaient un avantage considérable : on les mangeait sans difficulté en dépit de l’absence de fourchettes. En effet, on n’utilisait alors à table que le couteau et la cuiller. Les petites fourches qui nous sont familières ne firent leur apparition que plus tard, au 16ème siècle, grâce à Catherine de Médicis qui avait été habituée à s’en servir en Italie, avant de venir en France pour épouser le futur Henri II.
Quels étaient donc les usages culinaires au Moyen Age ?
C’est ordinairement aux Romains qu’on impute l’emploi immodéré des épices auquel se livraient nos aïeux. Cette coutume aurait traversé les siècles dévastateurs des grandes invasions parce qu’elle apportait à des gens qui ne connaissaient ni thé, ni café, ni tabac, ni même alcool (les premières distillations à usage courant datent de la fin du 13ème siècle), les excitants. C’est certainement exact, mais d’autres origines sont également décelables : les Espagnols vivant sous la domination arabe avaient appris de leurs occupants l’usage des épices et la mode en franchit les Pyrénées ; les Croisés, de leur côté, avaient ramené de Byzance et de la Terre Sainte beaucoup de produits inconnus de leurs pères et, parmi eux, des épices. Un grand nombre de nouvelles substances aromatiques envahirent alors nos cuisines et complétèrent, au cours des ans, celles que nous avaient transmises les Anciens. La cannelle, l’estragon, le clou de girofle, le garingal (variété de gingembre à odeur de rose), la maniguette (espèce de cardamome au parfum très accentué), le cumin, le safran, la noix muscade, vinrent s’ajouter à la liste familière des divers poivres (blancs, noirs et gris, tellement prisés qu’on les utilisait parfois comme monnaie pour régler des achats aussi onéreux que l’acquisition d’un champ), du gingembre, des graines de pavot, de l’anis, ou de la cardamome, utilisés par les Romains.
Le sucre.
Le sucre, qu’on appelait sel indien, n’était pas ignoré des cuisiniers de cette époque. On en achetait aux peuples du Moyen-Orient qui le vendaient fort cher. Aussi le gardait-on pour la pharmacopée et ne l’employait-on que rarement en cuisine. Il se présentait néanmoins sous des formes très variées dont nous avons conservé les noms : le sucre en pierre de roche, ou pain de sucre, cuit ou moulé en formes coniques comme on peut encore en voir au Maroc, était d’une blancheur de neige et fort dur ; le sucre candi, cristallisé, parfumé à divers sirops de fleurs ou jus de fruits comme le citron, la groseille, la violette, la rose, n’était vendu que chez les apothicaires ; le sucre caffetin, ainsi nommé pour deux raisons qui, curieusement, se recoupent : il venait de Caffa, colonie génoises de Crimée et on le livrait enveloppé dans des feuilles de palmiers tressées que les Arabes nomment caffa ; le sucre de Barbarie, en provenance du Maghreb ; le sucre crac, originaire de Chypre, de Syrie, de Rhodes ou de Babylone, dont la poudre très fine craquait sous les dents comme du sable ; le sucre casson, friable, fragile, qui se cassait pour un rien (le mot cassonade, bien connu des Français du Nord et des Belges, vient de là) ; le sucre de Montréal que nous recevions non pas du Québec encore à découvrir, mais de Syrie ; et, enfin, le sucre muscarrat au parfum de musc, alors très en vogue et qui ne nous paraît guère alléchant !
Il ne faut pas oublier cependant que toute la pâtisserie était faite au miel, produit naturel dont l’utilisation par les humains se perd dans la nuit des temps. Si on continuait encore à récolter le miel sauvage dans les bois, des apiculteurs nommés « abeillers » ou « bigres » avaient pour métier de découvrir les essaims dans les forêts, de les capturer, de les élever ensuite dans des ruches et de vendre de pleins tonneaux de ce doux nectar, soumis, comme le vin, à l’examen de jaugeurs professionnels. Dans les rues, des marchands ambulants le criaient : « Or, au miel ! Dieu vous donne santé ! »
Le sel.
On consommait aussi beaucoup de sel. Contrairement à une idée reçue, le commerce du sel resta libre jusqu’au 14ème siècle. Ce fut Philippe VI, dans ses Ordonnances Royales, qui, le 20 mars 1342, en confisqua le monopole au profit de l’État. Très impopulaire, le nouvel impôt fut appelé « gabelle ». Les pays dits de « petite gabelle » payaient le sel moins cher que ceux dits de « grande gabelle ». Mais tous les chefs de famille, dans un cas comme dans l’autre, étaient tenus de prendre chaque année, dans les greniers royaux, une certaine quantité de sel, nommé explicitement « sel du devoir », qui représentait leur consommation présumée. Avant cette entrave aux libertés du marché, mais aussi par la suite, en plus des épices, bien d’autres condiments étaient et furent utilisés afin de relever les mets. Comme il y avait presque toujours un jardin à l’arrière des maisons des villes et que, en outre, la campagne commençait aussitôt les remparts franchis, on disposait de force oignons, échalotes, thym, persil, serpolet, menthe, sarriette, laurier-sauce et, bien entendu, de beaucoup d’ail. A ce propos, Troyes était réputée pour son ail qu’il exportait dans tout le royaume et au-delà. On raconte à ce propos que les Byzantins furent épouvantés par les relents alliacés que dégageaient les barons francs !
Le vinaigre, aromatisé au moyen de plantes odorantes, de fleurs ou de graines, avait alors un rival sérieux dans le verjus, extrêmement employé. On a tout à fait oublié à présent ce fond de sauce acide préparé à partir de feuilles d’oseille, de jus de citron ou de raisins verts, d’où il tirait son nom.
Un autre condiment tenait également son appellation d’un rapprochement instructif de vocabulaire. En effet, pour l’obtenir, on délayait de la poudre terriblement forte de grains de sénevé écrasés au mortier, avec du moût de raisin. D’où la moutarde dont le nom, dérivé de « moût ardent », traduit le goût relevé d’un assaisonnement qui correspondait parfaitement à ce qu’aimaient nos aïeux.
Enfin, on dégustait le soir, à la veillée, en plus des gaufres, crêpes, tartes, beignets, fouaces et autres galettes, des « épices de chambre » composées de réglisse, coriandre, genièvre, dattes, anis, amandes, noisettes, noix, raisins secs, ainsi que des abricots, oranges, citrons et gingembre, confits au miel, comme on en trouve encore de nos jours dans les restaurants chinois.
Le gibier.
Si l’alimentation médiévale était fortement carnée, on n’appréciait que modérément le bœuf, le veau ou le mouton, auxquels on préférait la volaille (paons, faisans, cygnes, hérons, oies, pigeons, chapons, oiselets et même, parfois, des aigles !) et, bien entendu, le gibier, si abondant dans ces temps où d’immenses forêts couvraient encore l’Europe. Les alentours de Troyes continuent d’offrir une juste image des capacités en ce domaine. Jusqu’au 13ème siècle, la chasse est restée ouverte à tout le monde, gratuitement, tout au long de l’année. Il en était de même pour la pêche. Ce n’est que par la suite que seigneurs et riches bourgeois réservèrent pour leur seul plaisir des pans entiers de territoires forestiers. Auparavant, chacun chassait à sa guise, ou presque… Il y avait tant de lapins, lièvres, perdrix, sangliers, daims, cerfs et autres prédateurs dans les bois, que c’était une nécessité absolue de les détruire. Pas un carré de choux, pas une vigne, pas un champ de blé ne leur aurait résisté. Tout aurait été dévoré sur pied. C’était, en quelque sorte, un devoir civique que de chasser ! Aussi ne s’en privait-on pas et la venaison faisait-elle partie des aliments de base.
Si les seigneurs et le roi chassaient à courre, les roturiers disposaient, eux, de frondes, de filets, de gluaux, d’arcs et de flèches, de coutelas, de pièges variés et creusaient également des fosses qu’ils recouvraient de branchages pour y capturer le gros gibier. On portait en redevance le prélèvement convenu quand il y en avait un, on vendait une autre partie de la prise et on consommait le reste, ce qui agrémentait bien l’ordinaire.
Nos ancêtres préféraient le gibier cuisiné faisandé. Notons au passage que les fameuses « oubliettes », qui ont fait frissonner tant de visiteurs de châteaux forts, n’étaient en réalité, à leur origine, que des sortes de vastes garde-manger, creusés dans le sol et tapissés, en hiver, de blocs de glace recouverts d’herbe coupée, où l’on entreposait les quartiers de viande, les poissons, les pièces de venaison et autres provisions. On s’assurait ainsi des réserves de nourriture indispensable à une époque où chacun vivait en système autarcique. Il a pu arriver par la suite, durant les guerres du 14ème et du 15ème siècle, qu’on fût amené à y enfermer, lorsque les prisons étaient combles, certains prisonniers qu’on y oubliait… mais ces faits tardifs et exceptionnels n’ont fait que détourner de leur destination première ces « chambres froides » tout à fait innocentes et qui permettaient même de déguster en été des sorbets fort recherchés.
Le Pain.
L’aliment essentiel et sacré, l’aliment par excellence, demeurait néanmoins le pain, symbole même de la nourriture. On en mangeait beaucoup. A Troyes, un marché lui était réservé dont on garde le souvenir grâce à la persistance du nom de la place qui l’accueillait. Il y en avait de toutes sortes : pains communs, dits faitis et de brode ; pain de ménage que l’on fabriquait soi-même ; pains bourgeois ou de coquille ; pains choines, de fleur de farine ; pains de chapitre faits avec du gruau et réservés aux chanoines, pains d’amendement pour les écuyers et autres serviteurs ; pains reboulets pour les pauvres. Les pains « ratés », vendus tous les dimanches matin sur le parvis de la cathédrale afin d’écouler à moindre prix les fournées mal cuites ou mal levées, trouvaient aussi des acquéreurs. Les pains cuits deux fois (bis-cuit) et le pain grillé, qu’on employait après l’avoir broyé comme liant pour les sauces à la place de la farine, étaient très utilisés. Enfin le pain tranchoir, gros pain destiné à être taillé en tranches épaisses qu’on déposait devant les convives, en guise d’assiettes. La croûte de certains de ces pains était saupoudrée d’anis ou de marjolaine pour renforcer leur saveur.
On accompagnait bien entendu la nourriture de diverses boissons. Si le cidre n’a fait son apparition que tardivement, la cervoise en revanche, déjà connue et appréciée des Gaulois et que nous appelons maintenant bière (mot d’origine néerlandaise) alors que les Espagnols disent toujours « cerveza », était bue couramment dans tout le pays. On aimait aussi l’hypocras, fabriqué avec du vin chaud additionné de cannelle, de gingembre et de poivre (toujours les épices !) et l’hydromel, où étaient mélangés de l’eau ou du vinaigre avec du miel. Mais, surtout, on buvait du vin !
Le Vin.
Cultivée alors dans toute la France, y compris dans le Nord parce que monastères, couvents, paroisses étaient dans la nécessité d’avoir, partout, le vin de messe à leur disposition, la vigne ne connaissait alors point de frontières. La Champagne ne coupait bien sûr pas à la tradition alors que le Champagne, le vin des rois est apparu dans nos vallées que depuis bien peu de temps. Il y avait des vignobles à l’intérieur même des remparts, dans les jardins monastiques ou encore pour les offices juifs. Ne dit-on pas que le grand glossateur du 12e siècle, Rashi était vigneron…
On préférait cependant le Bourgogne, d’autant plus qu’on consommait beaucoup plus de vin rouge que de blanc. Parmi les crus étrangers, les vins de Grèce, d’Italie, de Chypre (le Malvoisie), d’Espagne et de Palestine étaient les plus réputés. On aromatisait par ailleurs à l’absinthe, à l’anis, à la myrte, à la noix de muscade, au romarin, à la sauge et à bien d’autres parfums des vins cuits qu’on dégustait le soir à la veillée. Dans quantité de récits du temps, il est question de vin vermeil, gris (mélange de raisins blancs et noirs), clairet (à cause de sa limpidité), jaune (très fort et qu’on pourrait dire madérisé), vin de paille (liquoreux, obtenu par l’exposition des grappes au soleil sur des litières de paille) et même d’un vin œil-de-perdrix…
On ne mettait pas alors le jus de la treille en bouteille, mais en fût. Comme on ne savait pas le conserver longtemps, on ne le buvait que jeune. Dès qu’une nouvelle récolte arrivait, on versait ce qui restait de la précédente dans les tonneaux à vinaigre.
L’habitat en ville.
Les maisons des villes médiévales étaient de plusieurs sortes. Il y avait celles qui présentaient à l’extérieur une façade dénuée d’ouverture car elles étaient totalement tournées vers leur jardin ; et il y avait, en bien plus grand nombre, celles qui possédaient boutiques sur rue, au rez-de-chaussée. Toutes, elles comprenaient au premier étage une pièce recouvrant l’ensemble de l’espace disponible, qu’on appelait la salle.
La famille médiévale s’y retrouvait aux différentes heures du jour. Beaucoup plus fournie que la nôtre, la maisonnée comportait en plus des parents et des enfants, les grands-parents, cousins, oncles et tantes, sans compter les serviteurs qui, eux aussi, faisaient partie de ce « clan » dont la solidarité était toujours prête à se manifester.
Les murs de la salle n’étaient pas nus, mais recouverts de tapis ou de tapisseries chez les gens riches, de tentures ou de courtines chez les autres, et même de simples draps teints de couleurs vives chez les moins fortunés. On déposait sur le sol du foin en hiver, pour tenir chaud, et de l’herbe fraîche en été ou des feuillages, pour tenir frais et sentir bon. On se procurait sans peine l’un et l’autre dans son propre jardin ou dans les champs qu’on possédait parfois aux portes de la ville. De toute manière, on pouvait en acheter aux marchands qui en proposaient dans la rue :
« A ma belle herbe, à ma belle herbe !
« Pour ce que c’est toute gayeté »
« Je ne la crie qu’en esté. »
« A qui vendrai-je ma grosse gerbe ? »
Une profonde et vaste cheminée, deux parfois, servaient à chauffer la pièce, mais aussi à cuisiner. Seuls les bourgeois très à l’aise et les seigneurs disposaient d’une cuisine indépendante de la salle. D’ordinaire, une marmite familière, pendue à la crémaillère, laissait échapper de sous son couvercle, matin et soir, des odeurs appétissantes. En hiver, on profitait du foyer toujours alimenté en bois pour s’asseoir sous le large manteau de la cheminée, sur des bancs placés à cet effet, afin de rester bien au chaud.
Meublée, suivant le goût et les moyens de chacun, de coffres, bahuts, vaisseliers, dessertes, sièges à haut dossier, bancs et tabourets, petites tables volantes, la salle ne comportait pas de table attitrée pour les repas. La salle à manger ne fera son apparition que bien plus tard. On se contentait de poser, le moment venu, de longues planches sur des tréteaux et de les recouvrir d’une nappe blanche dont les bords touchaient terre. Quand on en avait terminé, on rangeait le tout dans une resserre, dégageant ainsi le centre de la pièce, ce qui laissait la place libre pour les travaux et les jeux de tout ce monde qui vivait là.
Les enluminures, sources inépuisables de renseignements, nous apportent mille informations sur le mobilier médiéval. On y voit que les sièges, faits du même solide bois ciré que les autres meubles, étaient le plus souvent recouverts de coussins. On éparpillait des coussins partout. A même le sol, sur les cathèdres et leurs hauts dossiers, sur les escabeaux, les « faudesteuils », dans les embrasures des fenêtres, là où on avait aménagé d’étroites banquettes pour regarder au-dehors, et jusque sur les bancs enfouis sous le manteau de la cheminée.
Les chambres, situées aux étages supérieurs, étaient garnies de coffres et de larges lits où il était habituel de coucher à plusieurs : toutes les filles de la famille, par exemple, ou tous les garçons (comme dans le « Petit Poucet ») ou bien les grands-parents et certains de leurs petits-enfants et il arrivait que, par amitié et déférence, on reçût un hôte de passage dans le lit conjugal. Le mari se plaçant entre l’invité et son épouse !
Les légumes.
On prenait trois repas par jour. Un déjeuner qui ressemblait à ceux que les Anglais, plus traditionalistes que nous, ont conservé sous le nom de « breakfast », un dîner entre onze heures et demie et midi (potage, mais nous savons déjà que ceux-ci n’étaient pas ce que nous nommons actuellement ainsi, rôti, fruits et fromages) et un souper, le soir venu. Les paysans avaient coutume d’y ajouter deux collations, au milieu de la matinée (le casse-croute) et vers quatre heures de l’après-midi, pour couper un peu le temps et refaire leurs forces. Les fabliaux, les romans de ce temps, les chroniques et autres récits, parlent souvent de repas. On y constate que l’importance de la cuisine et sa variété ont toujours été considérées comme primordiales. Tout comme nous, nos aïeux cherchaient à éviter la monotonie des menus quotidiens et leur ingéniosité est à l’origine de nos si nombreux fromages et d’une charcuterie, dont les Romains, déjà, louaient la diversité.
Les légumes qu’on trouve sur les tables médiévales sont, eux, moins divers que les nôtres. Fèves, choux, carottes, poireaux, pois, navets, bettes, raves et toutes sortes de salades sont les plus souvent nommés. Les fruits, uniquement consommés en leur saison, sont à peu près les mêmes que ceux que nous cueillons dans nos jardins. Bien entendu, on n’en importait pas des tropiques ! Les abricots, pêches, oranges, figues, dattes et tous ceux en provenance du Moyen-Orient, avaient fait leur apparition en Europe à la suite des Croisades et on en avait déjà acclimaté certains à nos terrains et à nos climats. Les fraises et les framboises, comme les mûres, n’étaient pas alors cultivées, mais uniquement ramassées dans les bois.
Les goûts de ces légumes et de ces fruits étaient-ils les mêmes que ceux auxquels nous sommes habitués à présent ? On l’ignore. Il est seulement certain qu’on n’employait pas en ces temps-là d’engrais chimiques, ni des pesticides et que la nature n’était pas sollicitée… tout dépendait donc de la composition du sol et de la qualité des différents terroirs.
Dès le début de la Renaissance, on adaptera de nouvelles cultures, en particuliers en provenance d’Italie. On cultivera les légumes verts. La salade crue assaisonnée d’huile et de sel entrera alors dans les habitudes. Le mot salade provient d’ailleurs de l’italien « salada », salée ; la chicorée, l’escarole, la romaine, le chou-fleur, le salsifis et la betterave rouge. On plantera des abricotiers dans le sud. Le mûrier arrive d’Orient, sous Charles VIII, via Naples que l’on expérimentera dans le Dauphiné, pour tenter l’élevage du ver à soie. Olivier de Serre incite Henri IV à en planter dans ses jardins et à le promouvoir dans plusieurs provinces.
Grâce à Catherine de Médicis, on verra apparaître à la cour, le haricot du Mexique( ayacotl), via l’Espagne. On dit que c’est à son mariage avec le futur Henri II, que l’on voit poindre, pour la première fois, le dindon. En tous cas, il figure au banquet des gastrolâtres décrit par Rabelais dans son « Quart Livre ». Le docteur Estienne nous explique alors que « cette bête délicate, il est vrai, soit trop fade et dure de digestion ». Le canard devient une volaille très estimé et répandu dans les cours de ferme. Les « conins », (lapins) ne sont plus maudits comme au Moyen Age. Olivier de Serre en fait la promotion.
En 1493, Christophe Colomb découvre l’ananas en Guadeloupe que les jardiniers du roi Soleil s’évertueront de faire pousser sous serre. On découvre le cassis. Les Croisés avaient ramené de Syrie, l’orange inventée par les chinois, rebaptisé nagrung par les Indiens. Le connétable de Bourbon acclimate le premier oranger au nord de la Loire, au château de Chantilly ; les jardiniers de Versailles seront là encore les meilleurs dans le domaine. Les espagnols nous font découvrir la tomate des Andes, « pomme d’amour » (16e s), le maïs (du caraïbe maiz). Ce dernier entre très vite dans l’alimentation populaire. On en fait des gâteaux, des pâtes, des bouillies, ce que l’on nommera « millasse » dans le midi, « polenta » en Italie, « gaude » en Bresse.
Au 17e siècle Champlain nous fera déguster le topinambour du Canada, dit « pomme du Canada » ou artichaut de Jérusalem ». Le colza (du hollandais kolzaad « semence de chou »), arrive d’Europe de l’Est. Il est recommandé pour son huile et la richesse de son tourteau. Le tournesol du Pérou montre les mêmes propriétés.
Le rituel de table.
Avant de passer à table, on se lavait les mains avec soin. Les maisons cossues disposaient même de serviteurs qui « cornaient l’eau », c’est-à-dire qui sonnaient du cor pour faire savoir que le moment était venu de procéder à un rituel jugé indispensable. Une grande serviette sur le bras gauche, ils présentaient aux convives des bassinets d’étain ou d’argent dans lesquels ils versaient l’eau parfumée que contenaient de hautes aiguières du même métal. Un rituel toujours en usage au Maghreb.
On était d’ailleurs fort propre avant les terribles malheurs du XIVème siècle- la guerre de Cent Ans, la Grande Peste, les famines-. Précédemment, les bains tenaient une place importante dans les habitudes des citadins. Les cuveaux, les baignoires de bois poli et de nombreuses étuves faisaient alors partie du décor quotidien.
Les tables étaient longues et étroites. Ce n’était qu’à l’occasion de festins qu’on les disposait en forme de U, ainsi qu’on a coutume de les représenter. Les hommes et les femmes alternaient comme de nos jours. Le maître de maison prenait place sur une cathèdre au haut bout de la tablée, sa femme à sa droite. Les autres commensaux s’échelonnaient ensuite sur les bancs (munis de coussins !) par ordre d’âge et d’importance. La plupart du temps, maîtres et serviteurs prenaient leurs repas côte à côte.
Dans l’écuelle, toujours posée entre deux convives car on tenait à honneur de partager ainsi la nourriture avec son voisin, était déposée la viande cuisinée et préalablement coupée en morceaux. A la place de nos assiettes, devant chaque assistant, on mettait le pain tranchoir dont nous avons déjà parlé, qui se trouvait là pour absorber les excédents de sauce ou de graisse tout en servant de support.
On mangeait avec trois doigts, comme le font encore les Arabes, en s’aidant d’un couteau et d’une cuiller. Entre les mets, on se lavait les mains dans les bassines que repassaient les serviteurs et on s’essuyait avec les serviettes qu’ils présentaient, à moins que, par inadvertance, on n’utilise la nappe pour cet office!
Les coupes, gobelets et hanaps n’étaient jamais posés sur les tables, mais attendaient sur des dessertes d’être distribués à la demande des buveurs. Remportés dès que vidés, on les remplissait de nouveau afin de les tenir prêts au moindre signe. Pour les réunions plus officielles, on disposait en plus sur la nappe des salières, des boîtes à épices et des drageoirs en argent.
La spécificité champenoise, la cuisine des foires.
La cuisine champenoise tire évidemment sa spécificité de son terroir. La Seine et l’Aube permettaient à nos « pays » de tirer de leurs eaux les poissons traditionnels (brochets, truites…) ; Dans la forêt du Temple, les moines soldats, feront creuser tout un réseau d’étangs pour leurs besoins spécifiques en saumon et truites. A Troyes même, les nombreux monastères possédaient tous leur propre « pisciculture ». On installe des cages d’élevage à poissons sur les bras de la Seine.
On vivait beaucoup de cueillettes et de glanages de champignons, pissenlits, fraises des bois, châtaignes… Le cochon était évidemment très présent mais les génisses et taurillons de nos vallées étaient très prisés à la Cours de France, ce qui donnait aux tanneurs et travailleurs du cuir, à Troyes en particuliers, une activité importante.L’élevage du mouton était considérable, ce qui n’a été qu’en s’amplifiant : le mouton et l’agneau étaient donc des denrées prisées. La forte implantation romaine a donné à notre contrée le goût du miel et des aromates. Les Comtes de Champagne n’ont pas seulement rapporté la rose de Damas mais aussi l’usage des épices plus ou moins doux ; enfin, les foires de Champagne ont drainé avec elles des communautés de marchands de toute l’Europe qui ont plus ou moins influencé les femmes en cuisine au service des hôtels (des Allemands, des Lombards…).
Mais nous ne pouvons pas conclure sans évoquer l’influence primordiale des moines de Clairvaux en la matière. La plupart des gens de cuisine du monastère étaient des familiers ou des travailleurs loués sous les ordres du Cellérier. L’érudition des moines ne s’exerçait pas simplement dans les scriptorium, les Granges et les jardins. La cuisine était étudiée pour prévenir voire pour soigner le corps. Leur connaissance en matière de végétaux (le choux, le topinambour, le navet, le céleri…) étaient remarquable et la cuisine diététique contemporaine aurait, plus qu’elle ne pense, à étudier dans les grimoires cisterciens. On se méfiait de la viande cependant les convers et les familiers en recevaient la ration correspondante à leur activité. Ces derniers avaient aussi droit à leur ration de vin, ce qui n’était permis aux moines que certains jours de fête. D’ailleurs l’arrêt de l’activité des familiers, à la fin du 13e s. dans les ordres religieux est souvent relevé comme conséquence de révolte de ces derniers due à la suite d’arrosage alcoolique devenu trop fréquents. Les archives cisterciennes en attestent très souvent.