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L’Art Royal et l’Alchimie
Les bâtisseurs reproduisaient dans les bâtiments religieux, les éléments symboliques de l’Art Royal pour permettre aux fidèles de se transformer spirituellement. Cet art consistait, entre autre, en la connaissance des symboles que le Maçon (ou les autres spécialités rattachées) devait sculpter ou peindre sur les murs ou les vitraux.
Ces symboles et leurs positions dans la cathédrale (ou à l’extérieur) devaient restituer un processus par lequel l’homme pouvait recouvrer sa pureté et sa plénitude, par des états successifs de conscience. Par cette voie, le fidèle dompte graduellement ses désirs, ses envies. Arrivé à un niveau de conscience élevé, sa maîtrise le portera à penser juste, comprendre juste, parler juste et agir juste.
La représentation des symboles alchimiques dans les lieux cultuels permet donc de donner les images qui éclairent la conscience, afin de dompter son dragon intérieur, véritablement insensible aux imprécations de la raison. L’influence gnostique, néoplatonicienne mais surtout celtique (pour les régions concernées), toujours forte au 12-13e siècle, ont permis de garder ces éléments initiatiques véhiculés par les bâtisseurs du Saint Devoir de Dieu.
Pour eux, l’or est le Christ (ils n’ont aucun intérêt pour l’or matériel) qui ne connaît ni la corruption du corps, ni celle de l’esprit. La Vierge est l’œuvre blanc. Elle est le seul être parfaitement humain dont le corps a été élevé vers les cieux (Assomption). Elle est la Reine couronnée, le « Lys blanc » de la litanie dédiée à la Vierge qui sera constamment représentée sur les vitraux. Elle a été faite reine par son fils, lui-même roi du monde…
Nous sommes plongés au cœur de l’Art Royal. Un art déjà relaté par Job : « Et pourtant, la voie qui est la mienne, il l’a connaît ! Qu’il me passe au creuset : or pur j’en sortirai ! » (Job. 23-10). L’une des obligations de l’alchimiste est de fabriquer lui-même ses appareils (athanor, cornets,…). Le Maçon de cathédrale poursuit la même voie. Rien n’est fait au hasard. La science du Maçon-tailleur de pierre consiste alors dans « l’art du trait », cette géométrie particulière qui lui permet de tracer la troisième dimension à partir d’un plan en 2 dimensions.
Grâce au « trait », qu’il nommera « stéréotomie », sa précision est remarquable, et donc les déchets transportés minimisés… car le transport des pierres est cher, mais pas simplement ! A l’image du chantier de la construction du Temple du roi Salomon, il est aussi recommandé de faire un minimum de bruit sur le chantier… L’art Royal consiste donc en cette science du trait et de la connaissance parfaite du symbole alchimique.
Rien n’est fait pour le simple plaisir du sculpteur ou par pure moquerie envers le clergé. Bâtir une cathédrale est œuvre sacrée. Il nous faut plonger dans une culture d’un autre temps pour tenter de saisir le sens des choses et leurs significations précises.
Qu’est-ce que l’alchimie ? L’alchimie (de l’arabe al-kimiya’) est une science occulte des plus antiques, et elle est universelle. On la repère parfaitement en Egypte à la période grecque mais elle est présente partout dans les sociétés traditionnelles, en ce qui nous concerne, chez les Celtes.
Elle connut un grand développement en Europe du 12e s. au 18e s. Recherche d’inspiration spirituelle, ésotérique d’un remède universel (élixir, panacée, pierre philosophale) capable d’opérer une transmutation de l’être et de la matière (transmutation des métaux vils en or). Elle s’exprime en 3 branches, l’alchimie métallique, végétale et philosophique ou spirituelle.
Elle consistait à recréer les conditions d’une gestation après l’épuration d’un élément corrompu duquel on aura tiré la substance fondamentale : le mode opératoire débute donc par la purification du sujet, sa dissolution jusqu’à obtenir l’être universel (volatilisation, sublimation), une nouvelle solidification et enfin une combinaison nouvelle sous l’emprise de cet être, Or ou Dieu. Elle est aussi exprimée par : la calcination (couleur noire : la nigredo), la putréfaction, qui sépare la gangue calcinée (on obtient la couleur blanche : l’albedo), la distillation puis la conjonction (réincrudation) (on obtient la couleur rouge ; le composé se nomme alors cinabre : la rubido) et enfin la sublimation (volatilisation), qui permet d’obtenir l’or.
Le langage alchimique, émaillé de néologismes, purement symboliques, et contradictoires, nécessite d’être initié pour le comprendre. L’alchimiste accélère, en fait, le processus de perfectionnement de la matière. Pour lui, le plomb ou le cuivre ne sont que la même matière en voie de perfectionnement qui, in fine, deviendra de l’or. Le processus est celui de l’initiation traditionnelle. A ce stade, on la gratifiait donc « d’Art Royal ». Pour l’alchimiste, le même processus doit être entrepris pour que l’homme qui se corrompt dans un système sociétal (le monde de la quantité) basé sur l’argent, le pouvoir et le sexe, reprenne une voie humaniste et qualitative (le monde de la qualité), alors accèdera t-il à la véritable liberté !
L’alchimie des Ordres mendiants.
Les grands promoteurs de l’alchimie dans la religion chrétienne sont principalement issus des Ordres mendiants, les Franciscains et les Dominicains. Après le Moyen Age, les compagnons qui auront à faire à la justice, viendront se réfugier chez les « cordeliers » et bénéficieront de leur enseignement. En contre partie, ces compagnons travaillaient volontiers pour eux et il n’était pas rare de voir de véritables chefs d’œuvre s’édifier chez ces « pauvres frères mineurs ».
La « Chronique » de Salimbene d’Adam (1258) retrace la fortune de la tradition alchimique dans l’Ordre franciscain. Relatant les itinéraires du frère Elie de Cortone (mort en 1253), ce texte historique présente l’important disciple de St François d’Assise comme son initiateur. Il était parti en 1217 poursuivre son apostolat en Terre Sainte et dans ce berceau de l’Art de la « transmutation », se frotta aux secrets de l’alchimie. On sait que St François le rejoint en 1219 en Syrie. Certainement, dès la première moitié du 13e s. sous le généralat d’Elie, l’alchimie se diffuse largement parmi les frères Franciscains.
Les nombreux écrits émanant d’Assise nourrissent son 1er développement d’importance dans l’Occident latin. On parlera de « la langue des oiseaux » pour désigner le langage particulier des adeptes en se référant à St François d’Assise qui disait-on, parlait aux oiseaux. La rue des cordeliers, devenue la rue du « Champ des Oiseaux », était, à l’origine, le « chant des oiseaux » : intéressant, non ? Il s’agissait d’un code basé sur les jeux de langage : jeux phonétiques, charades, rébus, calembours, etc. Seuls les initiés y avaient accès, interdisant aux profanes d’intégrer le groupe et d’accéder à la connaissance. On parle aussi de cabale : les compagnons en ont fait un grand usage et il nomme leur passeport compagnonnique, le « cheval », par jeu de mots. Les arrêts de travail qu’ils organisaient étaient alors qualifiés de cabale (leur vocabulaire les aidant pour les rassemblements) ; pour la petite histoire, notons que le mot « grève » est apparu plus tard, à l’époque d’Haussmann. On venait chercher les journaliers sur la Place de Grève (l’actuelle place St Gervais, derrière l’Hôtel de ville) à Paris. Le jour où les journaliers décidaient d’augmenter les tarifs sous menace de ne pas travailler et de rester sur la grève, a donné naissance à cette expression.
A la fin du Moyen Age, on parle aussi de « langue des cynocéphales ». Nous rencontrerons de nombreuses sculptures de chiens sur les édifices, gardiens du monde de l’Au-delà et accompagnateurs des morts dans l’autre monde. Nous verrons aussi que Troyes est truffé de nom de rues et d’Hôtels qui expriment la cabale : Composte, Paon, Lion d’or, Mortier d’or, mais aussi l’auberge de la Tête noire, de la Tête rouge, … L’argot est encore un autre terme qui définit cette technique de langage même si ceux qui l’utilisaient au 20e s. n’étaient que des initiés d’un gang ou d’une bande. Enfin le « verlan » d’aujourd’hui, déjà fort utilisé au 19e s. et dans les années 1930, provient de la même démarche.
Mais revenons à nos moines : il faut alors mentionner l’auteur du « Liber Compostella », Bonaventure d’Isée, contemporain d’Elie, que les hommes de son temps appelèrent « savant, ingénieux et très sagace, homme de vie honnête et sainte ».
Par ailleurs, l’étude alchimique fut diffusée à Oxford par Robert Grossetête (1175- 1253). Son élève, Roger Bacon (1210- 1292 environ), sera une des figures intellectuelles les plus brillantes de son temps, marqué par ses intérêts mystiques, astrologiques et surtout alchimiques. Esprit indépendant et expérimentateur, il sera le premier exemple « d’alchimiste spirituel » persécuté par l’Eglise et jeté en prison pour hérésie. Il disparaît mystérieusement des chroniques en 1292. Sa fin est de celles qui commencèrent la légende de l’immortalité des alchimistes.
Un des élèves franciscains de Bacon fut un médecin très célèbre, astrologue, alchimiste, frère catalan du nom d’Arnaud de Villeneuve (1240- 1311), auteur du « Rosarium philosophirum ». Son œuvre fut brûlée parce qu’elle intégrait cette tendance prophétique qu’avait dangereusement introduit la doctrine hérétique de Joachim de Flore.
Villeneuve inspira deux autres grands alchimistes franciscains. Raymond Lulle (1235- 1315) et Jean de Rupescissa. Le second devait, comme lui, mourir en prison vers la moitié du 14e siècle, condamné pour ses nombreuses prophéties émaillant ses écrits. Il n’y a pas de doute que ce sont ses écrits qui, 4 siècles plus tard, inspirèrent un médecin français d’origine juive dont le nom Michel de Notre Dame, nous est mieux connu sous le vocable de Nostradamus.
Parallèlement à la fortune franciscaine de l’alchimie, une légende rattachait l’Art sacré à l’Ordre de St Dominique. Le « Speculum Naturalis » de Vincent de Beauvais, vers 1250, compte en effet pour l’une des œuvres les plus importantes de la période sur le sujet de l’alchimie. Vers la fin du Moyen Age, pour justifier la grande influence des Dominicains, il était raconté que St Dominique, pratiquant l’alchimie, avait obtenu la Pierre Philosophale et en avait transmis le secret à Albert le Grand (1193- 1280), alchimiste réputé qui l’avait à son tour communiqué à son disciple Thomas d’Aquin (1225- 1274) dont les écrits évoquaient la transmutation. C’est fort de ces considérations que nous pouvons commencer notre découverte de l’architecture religieuse.