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LE PROCES DES TEMPLIERS
L’ordre des Templiers…S’agissait-il d’une secte ? Une sorte de Ku klux Klan médiéval. Le drame de la secte du Temple Solaire a brouillé encore plus les cartes. De nombreuses organisations peu recommandables continuent, aujourd’hui, de se rappeler de l’Ordre disparu il y a 7 siècles. Ces mascarades ont brouillé l’image historique de ces moines soldats. Qui étaient-ils vraiment ? Le procès était-il fondé ? Le roi Philippe le Bel, l’époux de la comtesse de Champagne et reine de Navarre, avait-il des informations qui lui permettait de les suspecter ? De quoi les accusait-on vraiment ?
Tout comme les Juifs et les Lombards, les Templiers étaient considérés comme les banquiers de l’Occident. Pour le roi de France, après avoir spoliés les Juifs, les Templiers devenaient des proies aux capitaux enviables. En effet, ces derniers avaient perdu leur véritable utilité sur le front du Moyen Orient… Il ne restait plus qu’à dresser les chefs d’accusations. A partir de faits réels, il ne suffisait plus qu’à détourner la signification de leurs initiations ou de leurs usages. Tout le processus de manipulation a été mis en action. Une mythomanie qui a laissé des traces dans l’histoire du monde occidental qui ne se défait pas de ces mensonges. Les mystères qui nourrissent les fictions et la nécessité psychologique des organisations initiatiques semblent faire taire la vérité des faits.
Une ambiance délétère présidait à ce procès ; il fut instruit à force de brimades, de sévices et de tortures. Les Templiers étaient préparés à mourir mais ils ont mal accepté la torture, pour autant qu’elle fût acceptable. Comment rendre cette angoisse, la jouissance des tortionnaires ? Comment entrer dans l’imagination des accusateurs, dans l’intimité des « initiations templières » en essayant de rendre le plus objectivement qu’il soit, la lumière la plus juste ?
La création de l’Ordre des Templiers et le concile de Troyes.
L’Ordre du Temple avait été fondé par Hugues de Payns en 1118 ou 1119 selon notre calendrier. Payns, village proche de Troyes, au nord-ouest exactement, possèdera la première ferme et chapelle templière, dédiée à Marie Madeleine. On comptera prés de 80 Commanderies templières dans le département. Hughes de Payns recevra la Règle templière lors du Concile de Troyes (1129), en présence de Mathieu d’Albano, légat du pape, de Bernard de Clairvaux et d’Etienne Harding, 3e Abbé de Cîteaux et créateur des convers et familiares cisterciens.
Hugues de Payns offre à Baudouin II, roi de Jérusalem de créer un ordre militaire qui protégerait les pèlerins, sous le nom de « Pauvres chevaliers du Christ ». Le roi leur accorde une résidence dans son palais situé sur le site de l’ancien Temple de Salomon — recouvert alors par la Mosquée Al-Aqsa — et leur nom évolue en « chevaliers du Temple » puis en Templiers.
Ils pratiquent tout d’abord, la règle augustinienne des Chanoines du St Sépulcre. En 1128 (1129), St Bernard influença dans sa rédaction la règle définitive de moine soldat qui s’apparentait à la règle cistercienne. Aussitôt après le concile plusieurs membres de l’assemblée leur accordent leurs libéralités : Raoul le Gros leur abandonne sa terre de Preize près de Troyes.
L’ordre des Templiers accueillait les jeunes nobles désireux de s’investir dans la défense de la foi chrétienne au Moyen-Orient. Il formait un ordre militaire à la hiérarchie très stricte. Ses membres faisaient vœu de pauvreté, d’obéissance et de chasteté. Ils abandonnaient à l’ordre toutes leurs possessions et héritages. Ils partageaient leur existence austère entre la prière et la guerre et devinrent de fins connaisseurs des mœurs et coutumes guerrières du Moyen-Orient : très riche, l’ordre fit bâtir de nombreuses forteresses indépendantes, les kraks, mi-couvents, mi forteresses. Ils firent également bâtir un réseau de commanderies à travers tous les pays de la Chrétienté aux fins de recrutement. Plus encore, afin de fournir en denrées nécessaires à la guerre. En occident, les Templiers n’étaient que des agriculteurs. D’ailleurs, la plupart de ces moines soldats étaient d’origine agricole même s’ils étaient nobles.
La règle des Templiers exigeait une pauvreté personnelle de chaque chevalier et sauf pour l’aumône obligatoire, l’ordre recevait mais ne donnait jamais. En quelques années, le trésor du Temple devint impressionnant, en terres, en numéraire et en crédits.
Les Trésoriers des Rois.
Les Templiers collectaient les impôts pour le roi de France, le comte de Champagne ou de Flandres, et sans doute dans d’autres provinces. Enfin ils furent les trésoriers et les banquiers de nombreux seigneurs, évêques, et même du roi de France dont ils gardaient le trésor, sauf entre 1295 et 1303 (Philippe le Bel 1285 – 1314).
Ils instaurèrent un système de prêt ; ils prêtèrent aux rois, aux seigneurs, aux évêques, mais aussi aux commerçants et aux négociants. Ils inventèrent aussi la « lettre de change ».
La création des sous-ordres du Temple.
Par la bulle pontificale, Omne datum optimum, Robert de Craon obtient du pape Honorius II, un corps de frères Chapelains ou clercs et un corps de frères sergents sortes de convers assistés de Sainteurs (familiares, familiers) et d’ouvriers salariés. Avec la création du corps de chapelains était réglée leur autonomie liturgique. En effet, Les Templiers chevaliers n’ont jamais la possibilité de faire une messe, les Commandeurs et le Maître n’avaient aucune autorité pastorale. Ils ne pouvaient absoudre quiconque d’un péché. De nombreuses questions leur furent posées à ce sujet lors de leur procès.
L’arrestation des Templiers.
Le 13 octobre 1307, Philippe le Bel fait arrêter tous les Templiers du royaume de France. Les chefs d’accusations s’appuient sur la déclaration d’un personnage emprisonné à Toulouse, Florian, qui aurait été en contact avec des Templier apostats : « Les Templiers ont abdiqué la religion du Christ pour adopter celle de Mahomet. Ils ont fait alliance avec les Sarrasins et trahissent les Princes chrétiens comme ils ont déjà trahis St Louis. Ils adorent une idole couverte d’une peau d’homme, qui a dans les orbites des escarboucles luisantes… Ils commettent entre eux des actes contre nature. Ils renient Jésus Christ et foulent la croix aux pieds… Ils brûlent leurs morts et mêlent les cendres à leur vin et à leur nourriture pour garder fermement leur croyance et leur idolâtrie…. ».
A la suite des interrogatoires musclés, on retiendra 117 chefs d’accusation. On peut lire par exemple que « lors de la réception des frères, ou peu après, recevant et reçu s’embrassaient, quelque fois sur la bouche, le nombril, ou encore sur le ventre nu, l’anus ou l’épine dorsale » (30), « parfois sur les parties génitales ». (33) ; « dans plusieurs provinces, il y avait des idoles, spécialement dans leurs grands chapitres, ou lors de leurs grandes réunions. Ils les vénéraient. Comme Dieu. Comme leur Sauveur, ils disaient que cette tête pouvait les sauver. Les rendre riches. Qu’elle donnait à l’Ordre toutes ses richesses. Qu’elle faisait fleurir les arbres. Qu’elle faisait germer. Ils entouraient cette tête de cordelettes, les lui faisait toucher, puis ils ceignaient leur corps avec ces cordelettes. ».
Le 22 novembre 1307, le pape Clément V par la bulle Pastoralis præminentiæ ordonne l’arrestation de tous les Templiers de la Chrétienté, pour reprendre l’initiative. Le conflit est d’abord celui qui oppose le pape et le roi de France. En effet, le Temple ne relevant que de la papauté, il a toujours été une force sur laquelle celle-ci s’appuyait. De plus, après la mobilisation de l’argent des juifs et de celui du clergé, il ne restait plus que celui des Templiers de disponible. Il n’a jamais osé s’attaquer à celui des Lombards. De plus, le réseau de commanderies bien administrées, intéresse le roi.
Rappelons-nous qu’en 1288, le roi avait imposé aux juifs une taxe faramineuse de 25 000 livres et en 1306, il confisquera leurs biens en les expulsant. Cette manne épuisée, il ne reste plus à Philippe le Bel qu’à lever un impôt sur le Clergé de France : en 1296, il le fera sans en référer au pape Boniface VIII et il interdit toute sortie de numéraire du pays. Le 10 août 1297, il fait bloquer l’argent et l’or du pape. Après un temps de tension, le pape procède à la canonisation de Louis IX. Après la mort suspecte de Boniface VIII (Nogaret était près de lui à ce moment là), il faudra attendre une année avant l’élection du nouveau pape qui sera français et prendra le nom de Clément V. Il est clair que l’influence royale n’est pas pour rien dans cette élection, ce qui n’empêchera pas Clément V d’essayer de reprendre la main. En définitif, les Templiers feront l’objet d’un marchandage, les ambitions royales percutant celles du pape, pas moins avides.
L’accusation est mise sur pied par Guillaume de Nogaret, qui recrute des témoins à charge parmi d’anciens Templiers, et qui décide de mobiliser les attaques sur une hérésie supposée des Templiers, ce qui ne peut que forcer le pape à suivre le mouvement. Tous les royaumes latins, à l’exception notable du Portugal, font arrêter les Templiers et mener des enquêtes selon l’ordre de la bulle pontificale. Seuls les Templiers français seront reconnus coupables des crimes d’hérésie et de sodomie qu’on leur impute.
Le 12 août 1308 par la bulle Faciens misericordam, Clément V précise la procédure et crée une commission présidée par Gilles Aycelin, archevêque de Narbonne et émissaire de Philippe le Bel. Une défense peut être constituée. Sept personnages qui se présentent sont emprisonnés par le Prévôt du Châtelet et « mis à la question », pour leur faire avouer leur probable appartenance à l’Ordre du Temple !
Le 14 février 1309, Jacques de Sancy, précepteur de Troyes déclare aux commissaires que 25 frères qui étaient emprisonnés avec lui sont morts des suites des tortures.
L’héroïsme des dignitaires de Payns et de Troyes.
Le 27 novembre 1309, Ponsard de Gisy, précepteur de la commanderie de Payns est présenté devant la commission. Il aura une position particulièrement héroïque : « Les accusations prononcées contre l’Ordre sont fausses, à savoir qu’on y reniait Jésus-Christ, crachait sur la Croix et permettait aux frères de s’unir charnellement et autres énormités. Tout cela est faux ; tout ce que j’ai pu confesser, ce fut contraint par la menace et la terreur. Nous avons été torturés par Florian de Béziers, prieur de Montfaucon et le moine Guillaume Robert, en vertu d’un accord et d’une instruction de ceux qui nous détiennent en prison. Nous avons parlé faussement par crainte de la mort, parce que 36 de nos frères sont morts à Paris des suites des tortures et des tourments. Je suis prêt à défendre l’Ordre en mon nom et au nom des autres membres. Je n’ai pas les moyens financiers mais qu’on m’accorde pour ce faire les biens du Temple. Je demande également que l’on m’accorde, à titre de conseils, les frères Renaud d’Orléans et Pierre de Boulogne qui sont prêtres ». Il remet alors une déclaration écrite qui oblige la commission à reverser au dossier les éléments nouveaux. Dans sa déclaration écrite, il dénonce les traîtres qui s’obstinent à torturer les Templiers et reprend point par point les accusations : « Les faits imputés à l’Ordre sont faux…Leurs aveux, passés par moi et mes frères ont été obtenus par violence, intimidation et peur… Les dépositions ont été faites par un certain accord entre les prisonniers et les auteurs de leur arrestation et de leur incarcération et par crainte de la mort car 36 frères étaient morts à Paris des suites de la torture et beaucoup d’autres en d’autres lieux ». Il fut le premier à être jeté aux flammes.
Ce jour là, Aymon de Bourbonne, du diocèse de Troyes est entendu par la commission. « J’ai été soumis trois fois à la torture. On m’a fait subir le supplice de l’eau que l’on introduisit dans ma bouche au moyen d’une cruche. On m’a mis au pain et à l’eau pendant sept semaines. Je suis pauvre : je ne puis défendre l’Ordre par moi-même. Je le défendrais volontiers mais je suis prisonnier. Pendant trois ans j’ai été préposé à la garde de la chambre du Grand maître outre mer. Je ne sais rien qui soit mal contre lui ou contre l’Ordre. Je ne sais que faire : mon corps souffre et mon âme pleure. J’ai beaucoup souffert pour l’Ordre. Je ne dirai rien, ni pour ni contre, tant que je serai en prison ».
En 1310, nombre de dignitaires sont brûlés vifs pour avoir avoué puis renié leurs dires. Condamnés alors comme relaps. Au nombre de ceux là, Jacques de Sancy, précepteur de Troyes.
Le pape supprime l’Ordre du Temple par la bulle Vox in excelso du 3 avril 1312 et transfère leurs biens à l’Ordre de l’Hôpital le 2 mai suivant — bulle Ad providam. Les Templiers sont alors en possession de plus de 9 000 commanderies.
Le 18 mars 1314, Jacques de Molay (né en 1240), dernier Grand Maître de l’ordre meurt sur un bûcher à Paris, en compagnie de Geoffroy de Charny, précepteur de Normandie.
En effet il avait d’abord confessé ses « crimes », espérant obtenir de meilleures conditions pour la survie de l’ordre, puis s’était rétracté voyant l’intransigeance de la position royale. Une estrade fut dressée sur le parvis de Notre Dame pour que la sentence de condamnation (prison à vie) soit lue devant la foule en présence de quatre hauts dignitaires du Temple. Alors que l’un des cardinaux présents lit la liste des crimes, Jacques de Molay prend alors la parole sans qu’on lui demande : « Il est juste que, dans un si terrible jour, et dans les derniers moments de ma vie, je découvre toute l’iniquité du mensonge et que je fasse triompher la vérité. Je déclare, à la face du Ciel et de la terre et j’avoue, quoique à ma honte éternelle, que j’ai commis le plus grand des crimes, mais ce n’a été qu’en convenant de ceux qu’on impute avec tant de noirceur à notre Ordre. J’atteste et la vérité m’oblige à l’attester, qu’il est innocent. Je n’ai fait la déclaration contraire que pour suspendre les douleurs excessives de la torture, et pour fléchir ceux qui me les faisaient souffrir. Je sais les supplices qu’on a infligés à tous les chevaliers qui ont eu le courage de révoquer une pareille confession ; mais l’affreux spectacle qu’on me présente n’est pas capable de me faire confirmer un premier mensonge par un second. A une condition aussi infâme, je renonce de bon cœur à la vie ». Geoffroy de Charny reprend la déclaration du Grand Maître à son compte. Le peuple présent gronde.
Les Deux dignitaires sont immédiatement condamnés au bûcher comme relaps (étant retombés dans un crime déjà confessé). Le roi exige que le soir même le Bûcher soit dressé.
Sur le bûcher, Jacques de Molay a bien prophétisé la vengeance divine, ce que rapporte Godefroy de Paris, reprenant à sa manière les propos du Grand Maître :
« Je vois ici mon jugement
Où mourir me convient vraiment
S’en viendra un bref temps
Sur ceux qui nous condamnent à tort
Dieu vengera notre mort.
Seigneurs, ici, sachez sans vous taire
Que tous ceux qui nous sont contraire
Envers nous en aurons à souffrir ».
En fait, les propos que nous rapporte la légende des « rois maudits » n’auraient pas été prononcés par le grand Maître mais par un autre Templier qui aurait été conduit devant Clément V après la mort de Jacques de Molay. Toujours est-il, une malédiction (humaine ou) divine allait bien s’abattre sur le royaume de France… Pape, rois, conseillers, l’hécatombe sera de taille.
Nombreux sont ceux qui ne partageaient pas l’avis du roi de France. Dante lui-même a formulé l’idée d’une forfaiture. Dans sa Divine Comédie, au livre 19 de l’Inferno (écrit en 1306), donc du vivant de Clément V, il montre le pape condamné à la damnation éternelle. Il en fit autant avec Philippe le Bel au chant 20 du Purgatorio, écrit entre 1307 et 1308. Il montre le roi, expier ses péchés avec les autres pécheurs, avares et prodigues.
L’intention du roi de France était donc déjà de notoriété publique:
« Je vois le nouveau Pilate, si cruel
Qui n’est pas encore rassasié et qui sans nul droit
Porte dans le Temple les vaisseaux de sa cupidité ».
(Dante. La Divine Comédie. Chant 20 du Purgatorio).
Nous l’avons compris, nombre de situations relevées par les inquisiteurs eux-mêmes, semblent prendre faits et causes pour les Templiers. En ce qui concerne les questions émises à l’adresse des initiations, sans doute faudrait-il interroger ceux qui semblent être les héritiers de ces moines soldats : en premier lieu, les Cisterciens, puis les Compagnons du Devoir et enfin les Hospitaliers qui subsistent confusément dans une évanescence lente ?
Texte de Dominique Naert