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Le symbolisme gravé dans la pierre.
La nature est un temple où de vivants piliers
Laissent parfois sortir de confuses paroles.
L’homme y passe à travers des forêts de symboles
Qui l’observent avec des regards familiers.
Baudelaire.
Entrer dans une cathédrale, c’est entrer dans le monde de l’imaginaire. Une imagerie de pierre qui nous transmet un message universel si nous acceptons de nous laisser interpeler. Il nous faut donc beaucoup d’humilité et de confiance pour profiter de l’action du symbolisme de la cathédrale.
En effet, à longueur de jour comme de nuit, dans notre langage, nos gestes ou nos rêves, chacun de nous utilise les symboles. Notre pensée est verbale autant qu’imagée. Notre psychisme est peuplé d’images mentales. Tout ce qui nous est donné à vivre, nous le reconstruisons intérieurement, assimilant ainsi les expériences qui structurent nos comportements. Des images qui s’enrichissent en fonction de notre regard sur le monde ; notre compréhension du monde est, ainsi, à la mesure de notre vision du monde : « Avec nos pensées, nous créons le monde » expliquait Bouddha.
Même si nous n’en sommes pas conscients, nous interprétons le présent en permanence. Des automatismes qui déterminent le jugement que nous portons sur nous-mêmes et sur notre environnement. Tout ce que l’individu sait de son histoire, qu’il le comprenne ou pas, s’exprime dans le symbole.
Notre attitude dans la vie réagit donc aux images qui peuplent notre esprit. Et chaque changement d’images fait varier notre psychisme qui, de fait, influence nos rapports aux autres et participe à nos peurs et à nos joies, à nos croyances ou à nos convictions, à nos échecs comme à nos succès.
Or, il est des images plus profondes et plus lourdes de sens, les images « symboliques » qui nous nous provoquent, nous choquent ou nous apaisent. « L’homme crée des symboles de façon inconsciente et spontanée » (C.G.Jung, L’homme et ses symboles). Chaque sentiment profond crée un symbole qui apparaitra en réaction à chaque situation similaire. Le symbole ne concentre donc pas un concept, il exprime un sentiment. Mais il est des symboles encore plus archaïques qui relèvent de notre humanité.
En fait, nous sommes riches d’un monde vivant de symboles inaccessibles à la conscience. L’imaginaire est une mémoire inconnue, enracinée dans une mythologie universelle ; elle constitue donc notre vision du monde, une représentation évidente et globale de la réalité ; elle est une réponse à des questions qui ont été oubliées. Elle est transmise par la tradition culturelle (mythes et légendes) à laquelle appartient chaque individu. La vision du monde donne une signification à la vie. Elle ‘déproblématise’ la réalité en montrant que ce qui est non-conforme dans la réalité quotidienne n’est que locale et transitoire, ce qui permet d’échapper aux états anxiogènes et stabilise de notre univers mental. Car toute souffrance psychologique est une restriction de l’élan vital.
Le bestiaire des cathédrales, le peuple fantastique des gargouilles, la statuaire mystique, le monde végétal des chapiteaux font appel aux empreintes profondément ancrées qui nous structurent. Parce que le symbole remplit une fonction médiatrice, il jette des ponts, il réunit des éléments séparés ; il relie le réel et le rêve, l’inconscient et la conscience. L’activation de la fonction symbolique mobilise la subjectivité de l’initié dans ses dimensions conscientes, subconscientes et inconscientes qu’elle unifie. Ce que le symbole transforme, il le crée, il le constitue. Pour l’initié, le symbole est le levier grâce auquel il a prise sur son existence. Et découvrant le rapport qu’il entretient avec sa propre image, l’adepte découvre son pouvoir sur lui-même et sur son existence (bas relief alchimique du portail central de ND de Paris). L’image-symbole sollicite un niveau émotionnel profond ; elle est l’expression d’un affect et non d’une pensée consciente. Faire évoluer l’image équivaut à faire évoluer l’affect.
Ainsi, à toutes les forces centrifuges du mental humain, porté à se disperser dans la multitude des sensations et des émotions, le symbole oppose une force centripète recentrant l’homme sur lui-même : c’est là le concept qui préside à l’inscription des labyrinthes dans certaines églises (Amiens, Reims, Chartres,…). Les symboles sculptés, les gargouilles et autres chimères sont donc représentés pour nous faire descendre très loin dans la pénombre de notre inconscient. Or il est fondamental pour le fidèle, de se mettre en marche pour affronter ce qu’il doit vaincre. Un affrontement souvent représenté sur les chapiteaux par deux animaux fantastiques ou non, qui se font face, très souvent des dragons. A cette image, l’alchimie évoque le « combat des deux natures ». Dans le monde symbolique, le conflit intérieur prend toujours la forme d’une dualité.
Le dragon symbolise ce que le fidèle doit vaincre avant d’accéder au trésor contenu dans un vase, un graal ou un calice ; le trésor est en rapport avec ce qu’il est urgent de se réapproprier et le combat marque le début de la libération. Le dragon représente une force primitive brute qui doit être maîtrisée. Ce que le dragon garde prisonnier peut prendre des formes symboliques diverses mais sa valeur se révèlera proportionnelle aux efforts fournis pour le récupérer. Il figure ce qui, dans la vie du sujet, ne peut être affronté qu’avec angoisse. La métaphore évoque de toute façon un conflit intérieur, souvent le combat à mener afin d’accéder à la maturité affective. Parce que, comme le souligne Jung « On ne peut jamais liquider un phénomène par une critique rationnelle et, sur le plan de la vie religieuse, (par exemple) nous avons à faire à des phénomènes et à des faits, non pas à des hypothèses discutables ».
Si nous analysons les métaphores, la vérité qu’elles révèlent, aspire à un avènement, voire à une résolution bien plus qu’à une traduction. La personne doit sortir victorieuse de sa lutte. Mais s’il est indispensable de le dominer, il n’est pas toujours pertinent de le tuer car la force qu’il représente pourrait être utile après avoir été dompté. C’est le thème qui préside aux groupes statuaires de Ste Marguerite ou de Ste Marthe, qui tiennent en laisse leur propre dragon. Il est aussi celui que le Christ ou la Vierge foulent aux pieds, que l’archange Michel précipite dans les flammes de l’enfer, que les saints (Georges, Marguerite, etc.) affrontent pour faire triompher la Foi sur le Mal.
Vaincre le dragon, c’est gagner le trésor que gardent les dragons de presque toutes les mythologies ; il aura délivré l’âme, cette vierge tenue prisonnière. Cette métaphore contient l’idée de la transgression qui signe la volonté d’accéder à l’autonomie véritable, au « désir d’être » ; de construire sa réalité propre, hors de l’allégeance au désir de l’autre, d’abolir un système de conditionnements.
Le thème du dragon présente cette particularité de placer le fidèle ou l’initié en position de héros-quêteur. Les romans de chevalerie, initiés par Chrestien de Troyes (12e s) exploitent cette quête : se situant dans le monde du merveilleux, ils permettent de s’enfoncer dans l’imaginaire en toute spontanéité. De plus ils allient la dynamique de la quête à celle, structurante, de l’épreuve au cours de laquelle il est demandé à l’initié d’être l’acteur de son destin. N’oublions pas que le conte du Graal est un récit initiatique commandé à Chrestien de Troyes pour la formation du futur roi, Philippe Auguste.
Le vase, quant à lui, est un réceptacle plus ou moins sacré selon les traditions et renvoie à l’idée de féminité, de régénérescence. La notion de contenant étant solidaire du contenu, des représentations aquatiques et utérines (nymphes, naïades, sirènes,…) y sont fréquemment associées. Le vase est un lieu d’évolution et de transformation qui le rapproche de l’idée du fourneau alchimique, l’athanor (Façade occidentale de ND de Paris). Les sirènes maîtrisent les fonds marins qui symbolisent la matrice primordiale ou l’inconscient. Oser plonger dans les abîmes marins, c’est s’aventurer à descendre dans ses propres profondeurs ; se confondre aux êtres mythiques des océans, c’est chercher à percer ses puissants secrets.
Cette phase alchimique peut-être évoquée par des putti, jeunes enfants qui escaladent les arcs des portails (cathédrale de Troyes), ou qui émergent des feuillages des piliers : ils figurent la parole donnée à l’enfant que l’individu continue d’être. Il retourne à cet espace-temps où quelque chose de non résolu a entravé sa liberté. Ainsi, les affects enfouis et fortement investis et toujours actifs, sont directement transposés dans le contexte symbolique. Et il n’est pas nécessaire de revenir à un véritable souvenir d’enfance pour que le travail symbolique soit efficace. La situation d’origine, ou considérée comme telle, est ré-envisagée par l’individu dans la vie immédiate qui va perdre, de fait, son intensité affective et comportementale. Car si le passé continue d’être agissant, c’est qu’il constitue avec le présent une même réalité ; il en est du passé comme de l’inconscient : nous ne l’appréhendons guère que par ses affects.
Les retrouvailles avec l’enfant que l’on a été, permettent de réorganiser son affectivité autour de son besoin fondamental de sécurité. Pour pouvoir explorer son univers, l’impétrant doit se sentir libre de toute menace. Elle permet de panser ses blessures, de se consoler ou de reprendre contact avec certaines valeurs oubliées de l’enfance. C’est la première étape vers la réunification. Le deuil du parent idéal (métaphore initiatique universelle) conditionne l’accès au statut d’adulte.
Cette visite intérieure et introspective est vécue comme une purification nécessaire à toute initiation, qu’elle soit chrétienne ou non. On peut apercevoir des dragons ailés ingurgiter et nettoyer des enfants nus (cath de Troyes), une fois encore, des putti. Cette opération peut aussi être symbolisée par un pélican qui ingurgite et régurgite les aliments qu’il destine à ses petits. L’individu est sollicité à pénétrer en lui-même, jusqu’au lieu de son pouvoir d’autoconstitution, d’individuation. De là, il pourra opérer le retournement qui l’autorisera à réaliser son désir d’être. Il reprendra, alors le chemin vertical et ascensionnel, porté, tiré par d’autres symboles qui prennent leurs sources aux confins de l’humanité. « Le symbolisme de l’ascension, remarque Mircea Eliade, signifie toujours l’éclatement d’une situation pétrifiée, bouchée, la rupture de niveau qui rend possible le passage vers un autre mode d’être ». L’idée même du chevalier ou de l’archange armée de l’épée flamboyante évoque l’idée de montée, d’élévation et de sublimation qui, si le fidèle ou l’initié parvient à intégrer la puissance de l’épée, vivra une véritable transformation. L’impression de montée doit être ressentie dans le corps. Il est toute fois précisé qu’une montée requiert d’abord une notion d’effort et demande une certaine mobilisation d’énergie.
Le langage métaphorique permet dés lors de revenir au point où un sens particulier a été attribué à un vécu émotionnel, mais cette fois avec le moyen d’y faire face et d’en assumer les conséquences. La légende révélée apporte les réponses et les solutions de sublimation aux conflits de l’individu. Plus la situation est intensément vécue lors de l’initiation, plus l’impact sera puissant par la suite.
Son ombre, cette moitié obscure dont on se débarrasse en chargeant son prochain, et que les alchimistes évoquent par le terme « projection », est réinjecté dans la forme symbolique du matériau qui a surgi de l’impétrant (la pierre philosophale). Par les transformations symboliques, le psychisme se réorganise (ordo ab chao). Le symbole fait le lien entre souvenir et vision nouvelle et contribue à affaiblir les défenses. L’individu opère les remaniements en adéquation avec l’éclairage subjectif. L’évolution de l’initié peut-être considérée sous l’angle d’une organisation récursive où les effets et les produits d’un système sont eux-mêmes créateurs de ce qui les produits. L’œuf philosophale, souvent représenté par une boule, exprime cette théorie de la complexité qu’Edgar Morin emprunte au modèle de la cybernétique. En restructurant son univers intérieur, c’est son être-au-monde que le sujet reconfigure car les sensations, les sentiments, les pensées sont indissociables du sens donné à l’existence.
La cérémonie coupe court à toute intellectualisation par la précision des mises en scène (de la liturgie ou du rituel). Transposées en langage symbolique, la situation est alors traitée en direct. C’est ainsi qu’en modifiant l’approche symbolique, on modifie la réalité. C’est parce que le changement a été métaphoriquement abordé qu’il s’accomplit effectivement. Mais le changement n’est possible que si le fidèle ou l’initié est convaincu que ses représentations expriment ce qu’il est. L’individu doit faire un avec les symboles qui l’expriment. Pour autant, il va falloir oser… Le changement signe le passage de la passivité à l’activité. Dès qu’il y a libération du potentiel, l’angoisse s’estompe et les sentiments de légèreté, d’apaisement, de joie, reprennent le dessus.
L’espace intérieur s’élargit au fur et à mesure de la progression initiatique. Le symbolisme se simplifie, s’épure en quelque sorte, comme si l’initié avait moins besoin de se représenter sa vie maintenant qu’il est apte à l’inventer. Le processus relève plus du champ de l’expérimentation que celui de l’interprétation ; il attend moins d’être interprété que vécu et compris de l’intérieur. En matière de spiritualité, on ne peut rien comprendre dont on n’ait pas fait d’abord l’expérience intérieure.
Un double mouvement ascendant et descendant s’instaure alors régulièrement. Le courant descendant sollicite les ressources potentielles de l’initié dans leur multiplicité, tandis que le courant ascendant intègre ces ressources dans un processus d’unification de la conscience de soi. Un concept qui exprime l’essence de la totalité humaine composé de l’homme conscient, d’une part, et de l’homme inconscient, d’autre part. Il unit le momentané à l’éternel et l’individuel à l’universel. Pour le chrétien, il exprime l’immanence divine.
Tout changement de niveau entraîne un changement du régime de l’imaginaire et une modification des affects. La descente induit la confrontation avec les peurs les plus archaïques tandis que la montée éveille des sentiments d’ouverture, dynamiques, apaisants ou euphoriques. L’axe vertical passe par le centre que représente le pivot où se co-constitue la réalité commune.
La roue (rota) symbolise le cycle dont le moyeu représente l’axe du monde intérieur. Deux roues sont inscrites en partie haute de la façade occidentale de Notre Dame de Paris. Ce symbolisme s’appuie sur de nombreux textes comme celui d’Ézéchiel : « Et comme je regardais les êtres animés, et elle avait quatre faces (16 :) Et l’aspect des roues, ainsi que leur forme, étaient comme une vision de la mer : et toutes les quatre étaient semblables : et leur aspect ainsi que leur forme étaient comme s’il y avait une roue au milieu d’une autre roue… (20 :)… Car l’esprit de vie était dans les roues » (Vulgate, Ézéchiel, 1 :15).
La rose des cathédrales, la mandala, la rouelle, l’ouroboros (le serpent qui se mort la queue ou l’homme qui forme un cercle en se tenant les jambes) ou le labyrinthe sont chargés du même message. La circonférence figure la globalité en même temps que l’unité de la connaissance ; le centre symbolise le soi, la source, l’immanence de Dieu en l’Homme. Le cercle contient l’idée de sécurité maternelle. Les symboles qui se rapprochent du cercle, en particulier la roue, le labyrinthe ou la rose comportent aussi une autre idée : afin d’accéder à la connaissance, il suffit de se connaître soi-même en rassemblant ce qui est épars, en se concentrant sur son être intérieur : « Ars totum requirit hominem ! » (L’art requiert l’homme tout entier) s’écrie un vieil alchimiste Alors, comme la rose qui éclot, éclora pour nous une vie nouvelle. La fleur est utilisée depuis la préhistoire comme l’annonce de la nouvelle vie. Pendant l’ancien Régime, les compagnons qui venaient d’être initiés, étaient coiffés d’une couronne de fleur ; au sein des églises les fleurs sculptées et les rosaces symbolisent la Résurrection.
Le cycle se répète et, au fur et à mesure que les voyages se multiplient, l’initié puise davantage dans ses ressources (l’image de la roue ou du labyrinthe évoque les voyages intérieurs) ; la conscience de soi se précise et l’évolution se poursuit par intégrations successives. Le voyage au sein des labyrinthes se réalise toujours dextrorsum et en spirale ; le voyage initiatique du fidèle se fait de cette manière au sein de la cathédrale : le novice entre par le portail nord de la façade occidentale et tourne dextrorsum par les bas-côtés avant de revenir par l’allée centrale de la nef jusqu’à l’autel à l’instant où il sera initié au mystère eucharistique. Cette démarche semble déterminée par la disposition mentale de l’homme, observée par Jung : « Une connaissance plus précise montre que le chemin (de la connaissance) s’élève en spirale. Les rêves accomplissent une circumambulation autour du centre et se rapprochent de celui-ci grâce à des amplifications toujours plus claires » (C.G. Jung- Psychologie et Alchimie).
L’adepte doit évaluer la portée du travail symbolique sur sa vie quotidienne. Chaque degré initiatique, chaque cérémonie intègre les apports précédents et fournit un matériau nouveau qui sera à son tour intégré. Le changement n’est pas l’aboutissement du processus mais s’auto-constitue et se renforce à chaque boucle. Nos actes ne sont pas seulement l’expression de nos vécus internes mais ils rétroagissent sur ceux-ci.
Et il est des moments clé du processus initiatique où un basculement dans un nouvel état se produit. Le phénomène est d’autant plus abrupt qu’il avait été souterrainement préparé. C’est sous forme de prise de conscience, soit dans l’avènement d’une capacité nouvelle, soit dans l’avènement d’un nouveau comportement, il se manifeste avec soudaineté. Cela peut se produire à plusieurs reprises jusqu’à ce qu’un changement plus global se mette en place. En physique, on sait que des phénomènes ordonnés (organisés) peuvent naître d’une agitation ou turbulence désordonnée. Pour être effectif, le changement doit être transposé du rêve à la réalité. On observe le passage d’un premier niveau à un niveau supérieur qui englobe le premier. Il semble qu’un bouleversement du psychisme soit nécessaire pour la mise en place d’un changement profond et durable. Selon les tenants de la tradition ésotérique, l’individu semble posséder les capacités de réorganisation qui lui permette de laisser advenir un ordre nouveau.
Et de leur point de vue, les voyages intérieurs sont possibles lorsque le temps sacré est installé : dès lors la communication entre en résonance à un niveau profond et fait le lien entre l’éprouvé et l’imaginaire. Lorsque le temps sacré est fini, l’individu remonte à un niveau de conscience plus vigile. Lors des cérémonies, le fidèle fait l’expérience d’une modalité de conscience qui le coupe momentanément de ses références logico-sémantiques habituelles ainsi que de la réalité extérieure profane.
Ce voyage imaginaire est symbolisé par l’arbre, le moyeu du monde. Il fait office d’axe du monde (axis mundi). Un axe qui sera le vecteur de sa verticalisation purement « imaginale » : les racines de l’arbre-individualisé s’encrent profondément dans l’inconscient de l’homme. Sans doute est-il « fondateur » de plonger dans son imaginaire aussi profondément que l’arbre fruitier avec ses racines, pour prétendre au bénéfice d’une cueillette de fruits, belle et harmonieuse ? Dans la cathédrale, figuré par les piliers, il évoque aussi les trois mondes ; infernal, terrestre et céleste. Mais il est un symbole phallique dans sa verticalité en même temps que maternel avec sa frondaison et les fruits qu’il porte ; il met en scène conjointement l’image parentale et évoque la force vitale, la solidité, la sécurité, la confiance nécessaire à toute évolution… La sécurité retrouvée, l’initié cesse de se protéger de ce qu’il redoutait de perdre. Le combat impossible entre ce qu’il voulait être et ce qu’il craignait d’être n’a plus de raison de persister. Peut-être l’enjeu de toute évolution est-il simplement d’abandonner la crainte d’être ce que l’on est…
Le symbole de l’arbre contient aussi l’idée de croissance et de maturité, d’autonomie et de collaboration, de soutien et d’élévation spirituelle. En conclusion, en alchimie, l’arbre est le symbole de la philosophie hermétique.
Le symbole de l’épée est paré des mêmes attributs, à la fois phallique et masculin mais aussi transcendantale et ascendante. Une poussée transcendantale « techniquement, mentalement, affectivement convergente » selon Teilhard de Chardin ; cette « conjonction » (terme alchimique) doit transporter l’initié dans des sphères supra-humaines, métaphysiques, surhumaines. Le soulagement que cela lui procure, estompe sa dualité angoissante et amorce sa réunification intérieure. Portant un regard différent sur lui-même, il reconquiert un peu d’estime et se voit allégé de l’exigence où il se trouvait de résister à toute modification ; de plus, il mobilise ses potentialités. Et tout comme la descente au cœur de la l’inconscient semble sombre et difficile, l’accession au plus haut sommet de la conscience semble parée de lumière.
C’est cette phénoménologie que les « Maîtres d’œuvre » médiévaux cherchaient à reproduire dans leur architecture de lumière (le gothique). Par leurs constructions, ils ne voulaient pas simplement prouver l’importance de la lumière mais ils voulaient que les aveugles découvrent la lumière. L’initiation s’occupe de l’acte de voir.
Pour l’initié, accéder aux symboles, entrer en résonance avec, se laisser vibrer et transporter par les symboles, c’est vivre une phénoménologie psychique quasi magique (les mystères de la foi ; les petits et grands mystères) au regard de la psychothérapie. Et il n’est pas nécessaire de les expliquer rationnellement. Le rationnel ne fait pas partie du monde des symboles ; il ne fait pas non plus partie du psychisme de l’homme. Dans cette initiation, l’essentiel n’est donc pas d’expliquer les symboles mais de les transformer positivement, de les transmuter ; dès lors l’impétrant semble changer de niveau de conscience. Il doit donc les ressentir au plus profond de son intimité et les projeter dans un acte créateur et fondateur. En prenant ainsi conscience de la portée de son imaginaire, il renoue avec sa capacité créatrice. G. Bachelard a ainsi posé les conditions de ce qu’il qualifie « d’ontogenèse » : « L’imagination est surtout la faculté de changer les images. S’il n’y a pas de changements d’images, union inattendue des images, il n’y a pas imagination, il n’y a pas d’action imaginante… L’imagination est dans le psychisme humain l’expérience même de la nouveauté » (G. Bachelard, L’air et les songes).
Les membres du groupe acquièrent ainsi progressivement la croyance que leurs propres malaises, quand ils viendront à les éprouver, relèvent des mêmes procédés que ceux que figurent les mythes. Puisque selon Jung : « Le mythologème est la langue véritablement originale de ces processus psychiques et nulle formule intellectuelle ne peut atteindre, même de très loin, à la plénitude et à la force d’expression de l’image mythique. Ces processus révèle des images originelles qu’un langage imagé est le mieux à même d’exprimer avec justesse et pertinence » (C.G.Jung. Psychologie et Alchimie).
Le symbole ainsi transcendé doit permettre à l’initié d’atteindre une unité, une harmonie, une paix intérieure, un éveil : un bonheur quasi divin. Ce qui fait dire à Bernard de Clairvaux : « Dieu, il ne nous est pas permis de le voir autrement que par reflets et symboles ». En psychologie, le concept du divin est résumé dans l’idée du « soi » (C.G. Jung). Le « soi » est, pour Jung, l’union des contraires chère aux alchimistes. « Car l’alchimie (l’alchimie spirituelle) constitue comme un courant souterrain accompagnant le christianisme qui, lui, règne à la surface » (C.G.Jung – Psychologie et Alchimie). Ce courant est sous-jacent à la symbolique universelle sacrée. Bon nombre de figures ne sont compréhensibles qu’à travers cette lecture particulière.
La forme géométrique de la cathédrale, son implantation cosmo-tellurique, son symbolisme sculpté ou peint, la pénombre et le silence, tout concourt à la recherche du « soi ». La confiance de l’initié, sa foi pour tout dire, la force de son engagement, lui permettront de reprendre les traces, les empreintes, les archétypes de ceux qui ont édifié ces chefs-d’œuvre sédimentés. L’initiation n’est pas seulement création d’images, elle est surtout un mode de communication symbolique « dirigé » qui autorise le déploiement des potentialités enfouies ; elle est un mode onirique actif et guidé.
En pénétrant dans la « Jérusalem Céleste », l’initié chrétien s’enfonce dans son paysage intérieur peuplé de personnages, de symboles, de couleurs, de sensations… Ses émotions sont réelles : le cœur battant, il explore une caverne, il peine à escalader un sommet, trébuche sur un chemin empierré et bordé de ronciers, ou se repose à l’ombre d’un arbre « calcérisé », sédimenté.
Dans ce processus, le vécu imaginaire de l’initié a autant de poids qu’une expérience réelle. Il lui permet d’expérimenter plusieurs vies et, de fait, modifie sa manière d’être au monde à force d’expériences répétées. Prenant appui sur sa capacité d’imaginer, découvrant ce qu’il est, le sujet devient ce qu’il veut être : il accède à son pouvoir d’autoconstitution : « Imaginer, c’est s’absenter, c’est s’élancer vers une vie nouvelle » écrit Bachelard (L’air et les Songes). L’intuition, la création, une certaine forme de compréhension intellectuelle, y compris l’invention scientifique, relèvent de ce processus qui échappent au fonctionnement « maîtrisé » de la conscience. Ce sont aussi les idées d’éveil, de révélation et d’immanence qui s’expriment ici. Dès lors, le je se désaliène du moi dont il connait désormais la nature. Alors délivré de sa croyance en un déterminisme irréversible, l’initié aux mystères découvre l’adaptation véritable de la vie, qui n’est ni soumission, ni révolte mais adhésion à ce qui est. La liberté reconquise l’accompagne dans l’avènement d’un éternel présent. La tache quotidienne qui l’attend désormais sera de s’y maintenir à tout instant.
C’est dans cet univers traditionnel que nous vous proposons de pénétrer. Nous tenterons de faire un retour dans le passé de la conscience humaine afin de comprendre comment les hommes du Moyen-âge envisageaient le monde. Pour autant, il n’est pas n’est pas nécessaire de croire pour ressentir : la symbolique de pierre est universelle et profondément humaine, irréfragable et intime. Il n’est pas, non plus, nécessaire d’être chrétien pour être saisi par la symbolique d’une cathédrale comme il n’est pas besoin d’être indou pour ressentir une quelconque résonance à la symbolique sacrée indou. Ce qui est profond fait appel au fond commun de l’homme universel. Et dans la cathédrale, la statuaire passe au-delà de la symbolique chrétienne ; des images celtes, grecques, égyptiennes et indoeuropéennes, des figures fantastiques, totalement païennes, font face aux sculptures mystiques chrétiennes.
Parce que sans doute, dans les niveaux les plus profonds de la psyché inconsciente, l’homme reste païen. En fait, il y a dans le symbolisme une dimension universelle qui transcende la diversité des cultures et des individus. Le symbole nous préexiste et nous inscrit dans notre humanité. De même que l’individu appartient à l’humanité toute entière, l’humanité habite chaque individu. En ce sens, la singularité du symbole participe de son universalité. Il s’étend du psychologique à l’ontologique dans sa capacité à rendre compte de tous les aspects de l’expérience humaine. L’individu se l’approprie ; de là provient sa double résonance, singulière et universelle.
Une résonance intemporelle et universelle qui explique pourquoi les individus ont sculptés des symboles sur les linteaux, les modillons, les corbeaux, les sablières des demeures les plus simples aux plus sophistiquées. Sans nul doute, ils sont l’expression d’un monde enchanté et superstitieux. Mais ils transmettent avant tout, un message universel qui, si nous savons le décrypter, participe à nous enrichir