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Les Templiers
L’Ordre du Temple est fondé par Hugues de Payns en 1118 ou 1119 selon notre calendrier. Payns, village proche de Troyes, au nord-ouest exactement, possèdera la première ferme et chapelle templière, dédiée à Marie Madeleine. On comptera prés de 80 Commanderies templières dans le département. Hugues de Payns recevra la Règle templière lors du Concile de Troyes (1129), en présence de Mathieu d’Albano, légat du pape, de Bernard de Clairvaux et d’Etienne Harding, 3e Abbé de Cîteaux et créateur des convers et familiares cisterciens.
St Bernard convainc, ainsi, neuf chevaliers de partir pour Jérusalem. Ils ont donc pour chef, Hugues de Payns, qui deviendra le premier Grand Maître de l’Ordre. Hugues de Payns est apparenté au comte de Champagne. Son second est Godfroy de St Omer, un flamand.
Hugues de Payns offre à Baudouin II, roi de Jérusalem de créer un ordre militaire qui protégerait les pèlerins, sous le nom de « Pauvres Chevaliers du Christ ». Le roi leur accorde une résidence dans son palais situé sur le site de l’ancien Temple de Salomon — recouvert alors par la Mosquée Al-Aqsa — et leur nom évolue en « Chevaliers du Temple » puis en Templiers.
Ils prendront comme étendard le célèbre « gonfanon » qui est dit « baucent », en terme de blason : « d’argent au chef de sable ». Après 1145 s’y ajoute la croix de « gueules », brochant sur le tout. Il sera le point de ralliement sur le champ de bataille.
Hugues de Payns décède le 24 mai 1136. Il est remplacé par Robert de Craon. Il obtient du pape Honorius II, une bulle pontificale, Omne datum optimum le 29 mars 1139, qui officialise l’Ordre, qui rattache l’Ordre au pape, qui l’exempte des taxations locales et de la juridiction des évêques et des rois.
Ce n’est que le 27 avril 1147 ( Octave de Pâques, à la veille de la seconde croisade que les Templiers reçoivent du pape Eugène III, le blason qui les caractérisera, la croix vermeille au dessus du cœur, sur la gauche, sur leur manteau blanc. Ce manteau blanc qui garde la touche cistercienne. Les frères sergent porteront l’habit noir frappé lui aussi de la croix rouge. Le grand maître Evrard des Barres s’engagera d’une manière précieuse dans la croisade qu’avait prêchée St Bernard à Vézelay. Louis VII accompagné d’Aliénor d’Aquitaine, se mettra sous la protection des Templiers après quelques aventures désastreuses en Asie Mineure (gorges de Pisidie).
Pourquoi les Templiers allaient-ils devenir très riches ?
Ils pratiquent tout d’abord, la règle augustinienne ( qui n’est pas celle de St Augustin mais d’Hippone Augustin vers 338) des Chanoines du St Sépulcre. En 1128, St Bernard influença dans sa rédaction la règle définitive de moine soldat qui s’apparentait à la règle cistercienne. Aussitôt après le concile plusieurs membres de l’assemblée leur accordent leurs libéralités : Raoul le Gros leur abandonne sa terre de Preize près de Troyes.
L’ordre des Templiers accueillait les jeunes nobles désireux de s’investir dans la défense de la foi chrétienne au Moyen-Orient. Il formait un ordre militaire à la hiérarchie très stricte. Ses membres faisaient vœu de pauvreté, d’obéissance et de chasteté. Ils abandonnaient à l’ordre toutes leurs possessions et héritages. Ils partageaient leur existence austère entre la prière et la guerre et devinrent de fins connaisseurs des mœurs et coutumes guerrières du Moyen-Orient : très riche, l’ordre fit bâtir de nombreuses forteresses indépendantes, les kraks, mi-couvents, mi forteresses. Ils firent également bâtir un réseau de commanderies à travers tous les pays de la Chrétienté à fins de recrutement. Plus encore, afin de fournir en denrées nécessaires à la guerre. En occident, les Templiers n’étaient que des agriculteurs. D’ailleurs, la plupart d’entre ces moines soldats étaient d’origine agricole même s’ils étaient nobles.
De plus, les croisades débarrassaient le pays d’une bonne partie des pillards, seigneuriaux ou autres. « Il y a double avantage, soulignait St Bernard, le pays est débarrassé, et ils peuvent rendre service en Orient« ; de ce fait, le profit augmentait et avec lui l’argent devenait disponible.
La règle des Templiers exigeait une pauvreté personnelle de chaque chevalier et sauf pour l’aumône obligatoire, l’ordre recevait mais ne donnait jamais. En quelques années, le trésor du Temple devint impressionnant, en terres, en numéraire et en crédits.
Les Trésoriers d’occident.
Les Templiers collectaient les impôts pour le roi de France, le comte de Champagne ou de Flandres, et sans doute dans d’autres provinces. Enfin ils furent les trésoriers et les banquiers de nombreux seigneurs, évêques, et même du roi de France dont ils gardaient le trésor, sauf entre 1295 et 1303 (Philippe le Bel 1285 – 1314).
Ils instaurèrent un système de prêt ; ils prêtèrent aux rois, aux seigneurs, aux évêques, mais aussi aux commerçants et aux négociants. Ces derniers, en s’enrichissant grâce à une activité économique accrue, pouvaient, de ce fait, régler l’impôt particulièrement nécessaire à la construction des églises et des cathédrales. Ils inventèrent aussi la « lettre de change » qui permettait d’obtenir de l’argent en Palestine, par exemple : le Temple recevait, au préalable en gage, des biens ou de l’or ; arrivé en Terre Sainte, le dit seigneur présentait sa lettre certifiée et pouvait retirer l’argent jusqu’à épuisement du crédit.
La création des sous-ordres du Temple.
Par la bulle pontificale, Omne datum optimum, Robert de Craon obtient du pape Honorius II, un corps de frères Chapelains ou clercs et un corps de frères sergents sorte de convers assistés de Sainteurs (familiares, familiers) et d’ouvriers salariés. Avec la création du corps de chapelains était réglé leur autonomie liturgique. En effet, Les Templiers chevaliers n’ont jamais la possibilité de faire une messe, les Commandeurs et le Maître n’avaient aucune autorité pastorale. Ils ne pouvaient absoudre quiconque d’un péché. De nombreuses questions leur furent posées à ce sujet lors de leur procès.
Tout comme pour les Ordres strictement monastiques, les hommes de métiers pouvaient faire partie du sous ordre des convers, ici, « sergents » (ceux qui servent) ou des familiers, ici, « sainteurs » (ceux qui servent un Saint ou une cause sainte). Les Sergents pouvaient servir militairement ou non selon leurs spécialités. Ils ne combattaient pas à cheval. Seuls les Turcopoles, cavaliers mercenaires arabes, accompagnaient les Chevaliers à cheval.
Les corps des Sergents et des Sainteurs sont à l’origine des « Compagnons du Saint Devoir de Dieu » qui accompagneront les Templiers partout pour bâtir leurs 9 000 commanderies, dont 3 000 en France, sans compter les fermes templières et autres granges…
En occident, les travaux agricoles, nécessaires au ravitaillement des commanderies d’Orient, mais aussi à l’enrichissement de l’organisation, sont le quotidien du Templier aidé en cela par les sergents, les Sainteurs et les ouvriers salariés. Tant dans leurs travaux agricoles que dans la vie monacale, ils sont largement influencés par les Cisterciens.
L’inventaire réalisé à la suite de l’arrestation des Templiers de la commanderie de Payns permet de comprendre la réalité quotidienne des frères d’occident. Les biens, d’abord à l’usage des gens, consistent en 80 coutes (couvertures) et coussins, 20 paires de draps de lits (vieux, spécifie l’inventaire), 6 serges – ce que nous appelons dessus de lits- et une courtepointe (mauvaise). Dans la cuisine on trouve 4 pots de métal et un grand (ce dernier est probablement un chaudron) et de plus 2 pots percés.
Il y a aussi un « bassin à mains laver » et un « bassin à barbier ». La batterie de cuisine comporte aussi 3 poêles à queue et 2 autres petites également à queue, puis 1 poêle de fer , 2 mortiers, 2 pilons, 5 vieux « hanaps de madre » – autrement dits des récipients à boire en bois dur ; de même 6 pintes, 2 chopines d’étain et 10 vieilles écuelles d’étain « que grandes que petites ». Seuls les ustensiles de métal sont nommés et il en est ainsi dans beaucoup d’inventaires, ce qui laisse penser que l’on ne prend pas la peine de mentionner les ustensiles communs de poterie. L’inventaire de Jean de Hulle mentionne aussi 3 écrins ou coffres qui sont, avec les lits, le seul mobilier du dortoir, et un autre écrin « en la chambre frère Poinsart » ; il s’agit de F. Ponsard de Gisy, le commandeur (dont la déposition au procès a été conservée). Dans ce coffre se trouvaient les objets de la chapelle que l’inventaire énumère : elle comportait 2 croix de « Limoges » c’est-à-dire de cuivre émaillé dont Limoges avait la spécialité, 2 aiguières, l’une de cuivre, l’autre d’étain, 1 missel, 1 antiphonaire, 1 psautier, 1 bréviaire, 1 ordinaire. Cet assortiment de livres liturgiques laisse penser que dans la Commanderie de Payns on lisait l’office au lieu de se contenter des « patenôtres » prescrits aux frères illettrés pour le remplacer. Le mobilier de la chapelle comporte aussi 2 chandeliers de fer et 2 de cuivre et 1 calice d’argent doré. De plus « trois vaissels où il y a reliques », reliquaires. Le premier inventaire mentionnait aussi 2 boursettes de soie qui ne se trouvent pas sur le second. Enfin il y a le linge d’autel, en l’espèce 3 nappes et aussi 3 paires d’ornements « tous fournis pour célébrer à l’autel », autrement dit, des vêtements liturgiques de célébrant. De plus 1 bénitier et 1 encensoir, l’un et l’autre de cuivre.
En dehors du mobilier et des ustensiles, la commanderie, lors de la transmission entre les mains de Thomas de Savières, contient un certain nombre de biens de consommation: dans la grange une « postée de froment » et aussi un monceau de « méteil » (mélange de froment et de seigle), enfin des provisions de seigle, d’orge et d’avoine. De plus six queues (tonneaux de vin). Il y a aussi 9 ruches et 1 essaim que l’on venait probablement de recueillir. D’autre part le cheptel comporte 37 boeufs et 1 vache employés aux travaux pour lesquels on dispose de 6 charrues. De plus 13 vaches, 1 taureau, 4 veaux. Il y a aussi 5 chevaux qui sont des bêtes de somme, 24 pourceaux et 12 porcelets. Le troupeau de moutons est important : 285 moutons, brebis ou béliers, 244 agneaux et de plus 313 « que châtrés, que moutons »- les premiers désignant les moutons récemment châtrés.
L’exploitation du domaine et les soins du bétail nécessitaient un personnel assez nombreux : au temps des Templiers, la commanderie de Payns comporte 27 domestiques à gages, 14 bouviers, 6 bergers, 3 « charretons » (charretiers), 1 vacher, 1 cuisinier fournier (s’occupant du four à pain), enfin 1 portier, 1 granger qui a le soin de la grange située à La Barde, à quelque distance probablement de la maison principale. C’est ce dernier qui reçoit le meilleur salaire : 25 sous pour la période de la Saint-Jean à la Saint-Martin (24 Juin–11 Novembre). Les autres salaires varient de 24 sous 4 deniers remis à l’un des charretiers, Vincent, à 5 sous pour l’un des bergers, Oudant, frère d’un autre nommé Lambert qui, probablement n’était là que pour l’aider pendant la période d’été. La maison de Payns avait aussi à son service une soeur, une femme affiliée à l’ordre, pour laquelle aucun salaire n’est compté ; on la voit demeurer à la commanderie pendant le temps de la régie royale, puis on la renvoie, en lui donnant une maigre allocation : 10 sous.
La vie quotidienne de la maison transparaît à travers les comptes. Il y a ainsi l’une des corvées essentielles qui se trouvent détaillée celle de l’Usager ; il s’agit comme le précise le compte, des « dépenses faites pour le charreton de la maison, qui est appelé l’Usager parce qu’il va chaque jour au bois de l’Usage de ladite maison… pour sa charretée couper ». Les Templiers, en effet jouissaient d’un droit d’usage sur un bois qu’on a pu situer à Villeloup dans le Comté de Troyes. C’est à lui que revient la fonction de couper les bûches pour le chauffage de la maison et, en dehors de son salaire (il est consigné par ailleurs pour une somme de 13 sous 8 deniers pour la période précitée de gages), cet Usager nommé Perriau, reçoit pour chaque jour de la corvée indiquée, une somme de 6 deniers sur laquelle il rétribue sans doute les bûcherons qu’il emploie. Le détail des comptes qui lui sont faits, permet de constater qu’il a travaillé exactement 195 jours entre le 15 Novembre 1307 et le 8 Septembre 1308, car il ne travaille évidemment pas les Dimanches et jours de fêtes – sur 286 jours exactement – ce qui montre une appréciable alternance de jours de travail et de jours de congé. Quelques menus incidents sont notés. Ainsi quelques jours avant Noël, l’Usager a dû « demeurer 3 jours pour la nécessité de la neige » ; on le rembourse alors de ses dépenses pour une somme de 2 sous. De même au moment où à Perriau a succédé un nommé Jehannin, l’ancien Usager a dû « aller enseigner l’usage à l’Usager nouvel ». Et pour ce faire on lui rembourse 12 deniers. Ne parlons pas des menues dépenses d’entretien : c’est un jour l’essieu d’une roue qu’il faut remplacer, un autre jour une sangle, etc. Les dépenses faites chez le charron ou le bourrelier forment d’ailleurs un chapitre important dans la vie quotidienne de la maison : réfection des chars, remettre « raies et ridelles », remplacer les essieux, amènent souvent le « rayer » (charron) à la commanderie. On signale même qu’il vint un jour pour réparer un char qui s’était rompu tout chargé de foin. Quant au bourrelier – qu’on nomme coleron – et qui habite le village proche de St Lyé , il vient à plusieurs reprises réparer des harnais, fournir des chevêtres et brides, à moins qu’on aille acheter celles-ci à Troyes, avec d’autres fournitures comme la toile nécessaire aux harnais des chevaux ou la corde achetée en grande quantité, tant pour tirer les charrues que pour lier les moissons.
Les dépenses d’entretien se rapportent souvent aux bâtiments. Il a fallu, par exemple, recouvrir la grange au blé, ce qu’a fait un couvreur retenu pour cela 4 jours à la métairie. De même 2 maçons ont-ils pendant le même laps de temps, réparé le mur du lardier (garde-manger), celui de la porcherie et un autre mur près de la porte ; celle-ci était rompue et il avait fallu remplacer le fléau (la barre) – ce qui a pu être provoqué d’ailleurs par l’irruption des hommes du Roi lors de l’arrestation des Templiers. La clef a été également remplacée. Il y a aussi les menues dépenses, celles qui concernent par exemple l’éclairage de la maison : on fait appareiller les lanternes par un « spécialiste », lanternier, qui vient lui aussi de Saint-Lyé ; on achète des chandeliers de bois et des chandelles à plusieurs reprises. Dans un cas on signale que quelques unes de ces chandelles sont achetées à l’usage de la bergerie «pour les brebis qui agnellent » lorsque cela se passe en pleine nuit. Ces achats de chandelles reviennent fréquemment. De même change-t-on 2 fois la corde du puits dans l’espace de temps indiqué. Les achats de graisse pour oindre charrettes et chariots reviennent aussi assez souvent. On peut enfin constater d’après les comptes que les serviteurs de la maison sont dignement munis des outils de leur travail y compris les gants : on en achète 5 paires pour « les avoines égrener et charger ». C’est au dehors aussi qu’on achète les sacs à froment ou les tissus qui servent à les faire.
Les travaux réguliers des champs et de la maison sont faits par les domestiques qui y sont attachés, mais parfois on engage du personnel de renfort. Ainsi engage-t-on 8 batteurs dans la semaine de la Saint-Thomas (21 Décembre) qui battirent le blé aux granges. Et encore 2 ouvriers pour le transport des fumiers ; on signale à cette occasion que l’étable des moutons n’est ainsi débarrassée qu’une fois l’an – ce qui s’explique si une partie des troupeaux demeure aux champs plusieurs mois de l’année, usage qui contribue à fumer les jachères. D’autre part on voit fournir à la maisonnée non seulement les menus ustensiles comme les balais ou les écuelles, mais aussi les souliers.
Les dépenses les plus régulières sont évidemment les dépenses de bouche ; on note, une semaine après l’autre, les achats de « chair » de viande, et d’oeufs ; pendant le carême ce sont « les harengs et poissons » ou encore harengs secs, poissons et autres choses. En revanche, le jour de Pâques, celui de la Pentecôte, on note comme achat « bon vin » – ce qui laisse penser que celui qu’on buvait en général dans la maison des frères était de médiocre qualité. Les achats de vin ne sont mentionnés d’ailleurs qu’assez rarement ; on vivait sans doute sur le produit des vignes et des dîmes de vin prélevées aux environs ; ce n’est qu’après l’Ascension qu’on achète du vin, sans doute parce que celui de la provision de la maison était épuisé. Au reste la plus grande partie des dépenses de bouche n’apparaît pas. On a pu calculer que les achats mentionnés se montent en tout pour l’ensemble de la maisonnée, à une moyenne d’un sou par jour. Ce qui, même en tenant compte de la valeur du sou à l’époque, sous-entend que l’on vivait essentiellement sur les produits de la maison, ceux des champs et des jardins, et sur son élevage. L’éditeur des comptes de la commanderie de Payns a remarqué qu’aucun achat de fromage n’est mentionné, mais qu’en revanche on achète un boisseau de sel par semaine « pour saler les fromages », ce qui implique qu’on en mangeait d’énormes quantités ; on voit d’ailleurs acheter des « foisselles » ou formes à fromages. De même, sous le nom de « chair », il faut entendre uniquement la viande de boucherie, boeuf ou veau, car la viande de porc était prélevée sur la porcherie de l’endroit et de même les agneaux et moutons sur la bergerie. Un boucher de Saint-Lyé qu’on appelle Petit-Villain vient saler et « baconner » 5 pourceaux et reçoit 5 sous pour sa peine. De même à la saison, de Pâques à la Saint-Jean, 3 femmes sont-elles engagées pour traire les brebis ; leur lait servait sans doute à faire les fromages.
Plus importantes encore sont les recettes de la maison. Les administrateurs de la commanderie de Payns ont pris soin de noter pour chaque article ce qui a été récolté, consommé et vendu. Ainsi a-t-on récolté sur les terres de la commanderie 540 boisseaux et perçu en dîmes et rentes 207 boisseaux et demi de froment, soit en tout 745 boisseaux et demi dont on a vendu 576. Le produit de cette vente s’est monté à 39 livres 16 sous. Quelques articles sont déficitaires : ainsi les recettes de seigle et d’avoine ont été inférieures à la dépense. Dans l’ensemble, pour une année d’exploitation – il est vrai tenue par les agents du Roi qui sont des administrateurs temporaires – les recettes se montent à 250 livres et les dépenses à 189 livres.
La forêt du Temple.
La Forêt du Temple, en « forêt d’Orient » garde toujours les traces indélébiles de ces moines- chevaliers : « Maison Forestière du Temple », « Route Forestière du Temple », « Ruisseau du Temple », « Fontaine aux oiseaux », « Bois de l’Épe-Ron », qui n’est sur aucun éperon, Bois de l’Amiral, où il n’est trace d’amirauté…
Dans cette « forêt dans la forêt », plusieurs dizaines de digues antiques marquent l’ancienne présence d’étangs, maintenant combles ou asséchés, d’étangs artificiels, voulus, fabriqués, pour la pisciculture. L’argile extraite est utilisée pour la fabrication des briques et des tuiles. Des fermes entourent, toute la Forêt d’Orient, des fermes nées des essarts. Certaines même la pénètrent profondément comme vers l’ouest les terres de Larrivour qui fut, autrefois, l’abbaye cistercienne de ce nom, avec ses « granges » autour d’elle : La Porcherie, La Fontainerie, La Fromentelle…
Mais, hormis ces fermes cisterciennes, toutes les autres, qui enserrent la forêt et la pénètrent, furent maisons templières dont les noms se retrouvent dans ce qui nous est parvenu des cartulaires du Temple, ou qui portent encore les marques caractéristiques de ses constructeurs…
Et fermes, loges, forges et tuileries font à cet énorme massif forestier une ceinture discontinue, tant il fallait être du Temple ou de Cîteaux pour l’atteindre. A tout le moins fallait-il traverser leurs terres. Une petite commanderie de l’Ordre de Saint-Jean-de-Jérusalem existait bien également non loin de la forêt, mais non à son contact direct. Elle avait nom « Commanderie de l’Orient » et se nomme maintenant « Ferme de l’Hopiteau ».
Toutes ces fermes, toutes ces granges templières étaient sous la dépendance de commanderies qui faisaient, à leur tour, une seconde ceinture éloignée de quelques kilomètres. On les retrouve encore aisément. Elles avaient nom Bonlieu, Beauvoir, Nuisements, Chauffour, Fresnoy. Verrières, Bouy, possédant elles-mêmes d’autres fermes, à touche-touche. Ces commanderies dépendaient de deux baillies plus lointaines, situées l’une à l’est de la forêt, Thors; l’autre à l’ouest, Payns.
Et ces deux baillies se trouvaient reliées entre elles par une troisième ceinture de commanderies, elles-mêmes entourées de fermes, et qui étaient : La Loge-au-Temple, Troyes, Sancey, Menois, Chaussepierre, Monceaux, Avaleur, Buxières, Vitry, Bar-sur-Aube, Arrentières, La Ville-sur-Terre, La Neuville, Ramerupt…
Les Loges : Margueron, Aux Chèvres, Au Temple, etc…
Les Loges étaient tenues par les Charbonniers et les boisilleurs de tous poils : fendeurs, sabotiers, tonneliers, charpentiers…
Les métiers de fendeurs et de charbonniers étaient généralisés partout en France, là où il y avait des forêts. Y avait-il partout aussi des sociétés connues sous le nom de « Bons Compagnons Fendeurs » et de « Bons Cousins Charbonniers » ? Ces fraternités de métiers sont attestées majoritairement dans le nord-est de la France, en Champagne, Bourgogne, Franche-Comté, Basse-Normandie, et probablement aussi dans les Ardennes, le Nivernais et le Bourbonnais, voire en Bretagne. Ils créaient donc des loges : Loge Margueron, Loge Pomblin, Loge Madame, Loge aux Chèvres, etc…
Ce sont des associations de type initiatique, comme les compagnonnages. C’est-à-dire qu’on y est admis selon critères (dont la bonne pratique du métier mais aussi des qualités de cœur, le sens du partage, ainsi que le respect des bonnes mœurs et de la religion).
Il se pratique des rites de reconnaissance, qui sont appelés des « touches », c’est-à-dire des attouchements qui se font lors des poignées de mains. Leur signification renvoie tantôt aux gestes du métier, tantôt aux arbres de la forêt, tantôt à des symboles chrétiens. D’autres reconnaissances se font en frappant le bois d’une manière particulière, pour être entendu de loin (on dit « battre la douelle » ou « battre la diane ».)
La symbolique et les rites des forestiers sont de type christique très affirmé chez les charbonniers, un peu moins chez les fendeurs, mais se rapprochent très nettement de ceux qui étaient pratiqués dans les anciens compagnonnages et dont on possède des descriptions détaillées à par les condamnations de l’Eglise au 17e siècle (dont la sentence de la Sorbonne, de 1655). L’influence des Cisterciens et des Templiers n’est pas pour rien dans la christianisation d’une tradition celtique.
Chez les Bons Cousins Charbonniers, tous les accessoires des rites de réception et de réunion renvoient à l’Evangile et le candidat est assimilé au Christ dont il subit symboliquement les épreuves de la Passion. Les vertus théologales sont omniprésentes. Des extraits de rituels sont très clairs à cet égard : « Que signifie le sel :celui qui nous a rendu chrétien », « Que signifie la Croix : celle de notre rédemption », « Que signifie le mouchoir blanc : celui qui a reçu Notre-Seigneur », « Que signifie cette couronne d’épine blanche : les peines des Bons Cousins en ce monde et leur récompense en l’autre par les mérites de Notre Seigneur qui le premier la porta », « Que signifie le mouchoir : celui dont la Vierge se servit pour essuyer la face de Notre Seigneur. »
Le vocabulaire est analogue. Le terme « Cousin » est synonyme de Compagnon. Chez les fendeurs, la plus ancienne dénomination est bien celle de « Bon Compagnon Fendeur du Devoir ».
L’aspirant se nomme « briquet » (c’est un petit chien de chasse) ; ceux qui sont étrangers, les profanes, sont appelés des « guêpiers », mais le terme signifie parfois aussi « aspirant » chez les Charbonniers.
Le lieu de réunion, en forêt, s’appelle une « vente » (c’est une coupe de bois).C’est l’équivalent de la « chambre » ou de la « cayenne ».
La réception est appelée « passage ». Chez les Fendeurs existe aussi le « racolage », qui évoque le « recalage » des Compagnons Charpentiers du Devoir : « Le racolage se crie pour un Compagnon Fendeur qui a perdu le droit du métier, qui ne se re-souvient des droits. ». Chez les Fendeurs, la réception se fait en deux temps : le passage et la neuvième (9 jours après) ; c’est une sorte de « finition » analogue à celle des Compagnons. Les Bons Cousins Charbonniers pratiquaient aussi une réception en deux temps, à neuf jours d’écart : Compagnon puis Maître.
D’autres éléments rapprochent encore les Compagnons Fendeurs du Devoir des autres Compagnonnages : c’est ainsi qu’il est précisé que « chacun a son nom qu’il se choisit à sa maîtrise comme la Rose, la Branche et à sa volonté ». Par ailleurs, lors de sa réception, il reçoit deux rubans de différentes couleurs, qui s’appellent le « bouquet »; ils lui sont attachés à la boutonnière durant neuf jours. Les Bons Cousins Charbonniers reçoivent également trois rubans de la longueur d’une aune, de couleur rouge, bleu et noir. Le cri « A l’avantage », propre aux sociétés forestières, équivaut à « Honneur » chez les Compagnons.
Les Bons Compagnons Fendeurs et les Bons Cousins Charbonniers sont des groupements ruraux et plus sédentaires que les Compagnons des autres métiers, de type urbain et itinérants. Il est probable que l’itinérance était plus régionale que nationale.
Gardons en mémoire qu’une multitude de métiers de l’ancienne France étaient organisés sous formes d’associations avec des rites d’admission. Dans cette 3e enceinte développée autour de la Forêt d’Orient s’incluaient Payns, fief et origine d’Hugues de Payns, Fondateur de l’Ordre du Temple et premier Grand-Maître ; Troyes, capitale du comte Hugues de Champagne qui deviendra templier ; Clairvaux, abbaye cistercienne, dont l’abbé était saint Bernard qui donna au Temple sa règle et sa mission.
La désaffection des Templiers.
Depuis 1291 et la chute du royaume chrétien de Jérusalem, les Templiers, comme du reste tous les Latins, ne possèdent plus de places fortes en Palestine. Les projets de croisade générale du Grand Maître Jacques de Molay n’aboutirent pas par suite d’un manque d’attention des souverains occidentaux et de la papauté. Alors que les autres ordres militaires peuvent se concentrer sur d’autres fronts, les Teutoniques étant en train de bâtir un état théocratique en Prusse et les Hospitaliers de songer à une guerre navale contre l’infidèle par le contrôle du Dodécanèse et de Rhodes ; les Templiers se trouvent en porte-à-faux face à leur mission première. Ils restent un ordre militaire mais ne peuvent plus mener leur guerre.
De plus, dans un contexte international de renforcement des monarchies qu’incarnent parfaitement Philippe le Bel et son conseiller Guillaume de Nogaret, la puissance d’un ordre militaire possédant des biens à travers toute la Chrétienté et ne répondant qu’au pape inquiète les gouvernants. Les critiques qui ont toujours eu cours sur les ordres militaires, celle de richesse et d’avarice, celle de lâcheté, voire de trahison, gagnent en force et se concentrent sur le Temple, qui prête le plus le flanc à ces attaques.
L’arrestation des Templiers.
Le 13 octobre 1307, Philippe le Bel fait arrêter tous les Templiers du royaume de France. Les chefs d’accusations s’appuient sur la déclaration d’un personnage emprisonné à Toulouse, Florian, qui aurait été en contact avec des Templier apostats : « Les Templiers ont abdiqué la religion du Christ pour adopter celle de Mahomet. Ils ont fait alliance avec les Sarrasins et trahissent les Princes chrétiens comme ils ont déjà trahis St Louis…
A la suite des interrogatoires musclés, on retiendra 117 chefs d’accusation. On peut lire par exemple que « lors de la réception des frères, ou peu après, recevant et reçu s’embrassaient, quelque fois sur la bouche, le nombril, ou encore sur le ventre nu, l’anus ou l’épine dorsale » (30), « parfois sur les parties génitales ».(33.)
Le 22 novembre 1307, le pape Clément V par la bulle Pastoralis præminentiæ ordonne l’arrestation de tous les Templiers de la Chrétienté, pour reprendre l’initiative. Le conflit est d’abord celui qui oppose le pape et le roi de France. En effet, le Temple ne relevant que de la papauté, il a toujours été une force sur laquelle celle-ci s’appuyait. De plus, après la mobilisation de l’argent des juifs et de celui du clergé, il ne restait plus que celui des Templiers de disponible. Il n’a jamais oser s’attaquer à celui des Lombards. De plus, le réseau de commanderies bien administrées, intéresse le roi.
Rappelons-nous qu’en 1288, le roi avait imposé aux juifs une taxe faramineuse de 25 000 livres et en 1306, il confisquera leurs biens en les expulsant. Cette manne épuisée, il ne reste plus à Philippe le Bel qu’à lever un impôt sur le Clergé de France : en 1296, il le fera sans en référer au pape Boniface VIII et il interdit toute sortie de numéraire du pays. Le 10 août 1297, il fait bloquer l’argent et l’or du pape. Après un temps de tension, le pape procède à la canonisation de Louis IX. Après la mort suspecte de Boniface VIII (Nogaret était près de lui à ce moment là), il faudra attendre une année avant l’élection du nouveau pape qui sera français et prendra le nom de Clément V. Il est clair que l’influence royale n’est pas pour rien dans cette élection, ce qui n’empêchera pas Clément V d’essayer de reprendre la main. En définitive, les Templiers feront l’objet d’un marchandage, les ambitions royales percutant celles du pape, pas moins avides.
L’accusation est mise sur pied par Guillaume de Nogaret, qui recrute des témoins à charge parmi d’anciens Templiers, et qui décide de mobiliser les attaques sur une hérésie supposée des Templiers, ce qui ne peut que forcer le pape à suivre le mouvement. Tous les royaumes latins, à l’exception notable du Portugal, font arrêter les Templiers et mener des enquêtes selon l’ordre de la bulle pontificale. Seuls les Templiers français seront reconnus coupables des crimes d’hérésie et de sodomie qu’on leur impute.
Le 12 août 1308 par la bulle Faciens misericordam, Clément V précise la procédure et crée une commission présidée par Gilles Aycelin, archevêque de Narbonne et émissaire de Philippe le Bel. Une défense peut être constituée. Sept personnages qui se présentent sont emprisonnés par le Prévôt du Châtelet et « mis à la question », pour leur faire avouer leur probable appartenance à l’Ordre du Temple !
Le 14 février 1309, Jacques de Sancy, précepteur de Troyes déclare aux commissaires que 25 frères qui étaient emprisonnés avec lui sont morts des suites des tortures.
Le 27 novembre 1309, Ponsard de Gisy, précepteur de la commanderie de Payns est présenté devant la commission. Il aura une position particulièrement héroïque : « Les accusations prononcées contre l’Ordre sont fausses, à savoir qu’on y reniait Jésus-Christ, crachait sur la Croix et permettait aux frères de s’unir charnellement et autres énormités. Tout cela est faux ; tout ce que j’ai pu confesser, ce fut contraint par la menace et la terreur. Nous avons été torturés par Florian de Béziers, prieur de Montfaucon et le moine Guillaume Robert, en vertu d’un accord et d’une instruction de ceux qui nous détiennent en prison. Nous avons parlé faussement par crainte de la mort, parce que 36 de nos frères sont morts à Paris des suites des tortures et des tourments. Je suis prêt à défendre l’Ordre en mon nom et au nom des autres membres. Je n’ai pas les moyens financiers mais qu’on m’accorde pour ce faire les biens du Temple. Je demande également que l’on m’accorde, à titre de conseils, les frères Renaud d’Orléans et Pierre de Boulogne qui sont prêtres ». Il remet alors une déclaration écrite qui oblige la commission à reverser au dossier les éléments nouveaux.
Dans sa déclaration écrite, il dénonce les traîtres qui s’obstinent à torturer les Templiers et reprend point par point chaque accusation : « Les faits imputés à l’Ordre sont faux… Leurs aveux, passés par moi et mes frères ont été obtenus par violence, intimidation et peur… Les dépositions ont été faites par un certain accord entre les prisonniers et les auteurs de leur arrestation et de leur incarcération et par crainte de la mort car 36 frères étaient morts à Paris des suites de la torture et beaucoup d’autres en d’autres lieux ». Il fut le premier à être jeté aux flammes.
Ce jour là, Aymon de Bourbonne, du diocèse de Troyes est entendu par la commission. « J’ai été soumis trois fois à la torture. On m’a fait subir le supplice de l’eau que l’on introduisit dans ma bouche au moyen d’une cruche. On m’a mis au pain et à l’eau pendant sept semaines. Je suis pauvre : je ne puis défendre l’Ordre par moi-même. Je le défendrais volontiers mais je suis prisonnier. Pendant trois ans j’ai été préposé à la garde de la chambre du Grand Maître outre mer. Je ne sais rien qui soit mal contre lui ou contre l’Ordre. Je ne sais que faire : mon corps souffre et mon âme pleure. J’ai beaucoup souffert pour l’Ordre. Je ne dirai rien, ni pour ni contre, tant que je serai en prison ».
En 1310, nombre de dignitaires sont brûlés vifs pour avoir avoué puis renié leurs dires. Condamnés alors comme relaps. Au nombre de ceux là, Jacques de Sancy, précepteur de Troyes.
Le pape supprime l’Ordre du Temple par la bulle Vox in excelso du 3 avril 1312 et transfère leurs biens à l’Ordre de l’Hôpital le 2 mai suivant — bulle Ad providam. Les Templiers sont alors en possession de plus de 9 000 commanderies.
Le 18 mars 1314, Jacques de Molay (né en 1240), dernier Grand Maître de l’ordre meurt sur un bûcher à Paris, en compagnie de Geoffroy de Charny, précepteur de Normandie.
En effet il avait d’abord confessé ses « crimes », espérant obtenir de meilleures conditions pour la survie de l’Ordre, puis s’était rétracté voyant l’intransigeance de la position royale. Une estrade fut dressée sur le parvis de Notre Dame pour que la sentence de condamnation (prison à vie) soit lue devant la foule en présence de quatre hauts dignitaires du Temple. Alors que l’un des cardinaux présents lit la liste des crimes, Jacques de Molay prend alors la parole sans qu’on lui demande : « Il est juste que, dans un si terrible jour, et dans les derniers moments de ma vie, je découvre toute l’iniquité du mensonge et que je fasse triompher la vérité. Je déclare, à la face du Ciel et de la terre et j’avoue, quoique à ma honte éternelle, que j’ai commis le plus grand des crimes, mais ce n’a été qu’en convenant de ceux qu’on impute avec tant de noirceur à notre Ordre. J’atteste et la vérité m’oblige à l’attester, qu’il est innocent. Je n’ai fait la déclaration contraire que pour suspendre les douleurs excessives de la torture, et pour fléchir ceux qui me les faisaient souffrir. Je sais les supplices qu’on a infligés à tous les chevaliers qui ont eu le courage de révoquer une pareille confession ; mais l’affreux spectacle qu’on me présente n’est pas capable de me faire confirmer un premier mensonge par un second. A une condition aussi infâme, je renonce de bon cœur à la vie ». Geoffroy de Charny reprend la déclaration du Grand Maître à son compte. Le peuple présent gronde.
Les Deux dignitaires sont immédiatement condamnés au bûcher comme relaps (étant retombé dans un crime déjà confessé). Le roi exige que le soir même le Bûcher soit dressé.
Sur le bûcher, Jacques de Molay a bien prophétisé la vengeance divine, ce que rapporte Godefroy de Paris, reprenant à sa manière les propos du Grand Maître :
Je vois ici mon jugement
Où mourir me convient vraiment
S’en viendra un bref temps
Sur ceux qui nous condamnent à tort
Dieu vengera notre mort.
Seigneurs, ici, sachez sans vous taire
Que tous ceux qui nous sont contraire
Envers nous en aurons à souffrir.
En fait, les propos que nous rapporte la légende des « rois maudits » n’auraient pas été prononcés par le Grand Maître mais par un autre Templier qui aurait été conduit devant Clément V après la mort de Jacques de Molay. Toujours est-il, une malédiction (humaine ou) divine allait bien s’abattre sur le royaume de France… Pape, rois, conseillers, l’hécatombe sera de taille.
Nombreux sont ceux qui ne partageaient pas l’avis du roi de France. Dante lui-même a formulé l’idée d’une forfaiture. Dans sa Divine Comédie, au livre 19 de l’Inferno (écrit en 1306), donc du vivant de Clément V, il montre le pape condamné à la damnation éternelle. Il en fit autant avec Philippe le Bel au chant 20 du Purgatorio, écrit entre 1307 et 1308. Il montre le roi expier ses péchés avec les autres pécheurs de l’argent, avares et prodigues. L’intention du roi de France était donc déjà de notoriété publique :
Je vois le nouveau Pilate, si cruel
Qui n’est pas encore rassasié et qui sans nul droit
Porte dans le Temple les vaisseaux de sa cupidité
Pourquoi les Templiers et les Compagnons partageaient-ils la protection commune de Marie Madeleine ?
Marie de Magdala, sœur de Lazare que Jésus a ressuscité et de Marthe, dite la travailleuse, est considérée par l’Eglise comme une grande pécheresse. Suivre la voie de Marie Madeleine, c’est suivre le chemin de la mutation, de la transformation radicale. C’est le chemin que tentaient de suivre les Templiers et les Compagnons du St Devoir de Dieu. La plupart des chapelles templières étaient dédiées à Marie Madeleine. De nombreux éléments semblent indiquer la relation étroite qui existait entre les deux entités. Les cisterciens ont formé des équipes d’hommes de métier pour accompagner les Templiers en Terre Sainte (sans doute à partir de 1139) pour les aider à la construction de ponts, armes de guerre, forteresses…
Ces hommes de métiers encadrés selon les règles monastiques auraient créé l’ordre du St Devoir de Dieu. Aujourd’hui, encore, les Compagnons du Devoir gardent Marie Madeleine comme Patronne et protectrice. Ils continuent toujours de faire un pèlerinage à la Ste Baume, pendant leur « Tour de France ». Lors de ce pèlerinage une frappe particulière au fer chaud est apposée sur leurs « couleurs », sorte de bande de tissus qu’ils portent à l’instar d’un maire ou d’un diacre.
Le Mystère de l’Arche cachée
L’histoire raconte que les neuf chevaliers français dévots se présentèrent au roi de Jérusalem, Baudouin II, en l’an 1119 afin de protéger les pèlerins. Leur chef Hugues de Payns était de la famille des comtes de Champagne. En 1114, il s’était rendu en Terre Sainte avec le comte Hugues de Champagne. Ils en reviennent en 1116. Etaient-ils partis en reconnaissance ?
Son second, Godfroy (Godefroy) de St-Omer était flamand, tout comme le sont également Payen de Montdidier et Archambaud de St-Amand. Hugues avait aussi emmené avec lui, André de Montbard, le propre oncle de Saint-Bernard. Il fera donation des terres nécessaires pour fonder le monastère cistercien de Fontenay. Les autres se nomment Gondemare, Rosal, Godefroy et Geoffroy Bisol.
Afin de comprendre les tenants de l’énigme, rappelons que le roi Baudoin leur abandonna une partie de l’aile de son palais à l’emplacement de l’ancien Temple de Salomon, dans le Masjid el Aksa. Ils se présentèrent au patriarche et prononcèrent les 3 vœux, d’obéissance, de chasteté et de non possession (siné proprio). Les chanoines du Saint-Sépulcre leur cédèrent la place qu’ils occupaient à cette période. Et de « Pauvres Chevaliers du Christ » on leur donna rapidement le nom de chevaliers du Temple ou Templiers. Pour obtenir ces prérogatives qui n’étaient pas ordinaires, il fallait qu’ils soient recommandés par des personnalités particulièrement influentes.
Pendant neuf ans aucun autre chevalier ne rentre dans cette compagnie, hormis Hugues, le comte de Champagne qui a abandonné son comté au profit de son neveu Thibaut de Blois, mais aussi femme et enfant, pour venir les rejoindre. La mission officielle qu’ils s’étaient donnée, consistait dans la défense des pèlerins sur les routes de Palestine mais le premier fait d’armes connu auquel participent nommément les Templiers a lieu en 1138 : c’est d’ailleurs une défaite contre les Turcs. Avant 1130 environ, au nombre de dix, que pouvaient-ils garder ? Que savons-nous d’eux encore ? Jusqu’en 1128, ils signeront comme des laïcs et ils sont particulièrement attachés à Saint-Bernard.
En avril 1310, lors du procès des Templiers, devant le représentant du pape, frère Aymerie remet un plaidoyer où l’on peut lire, s’adressant au Pape lui-même : « Ton Ordre, celui du Temple a été fondé en concile général pour l’honneur de la Sainte et glorieuse Vierge Marie, la mère, par le Bienheureux Bernard, ton Saint Confesseur, élu pour cet office, par la Sainte Eglise romaine. C’est lui qui, avec d’autres prud’hommes, l’enseigna et lui confia sa mission». Saint-Bernard est donc le commanditaire de la mission des Templiers.
Pourquoi donc Saint-Bernard a-t-il envoyé des chevaliers de haut rang en Terre sainte ? Pour garder les routes des pèlerins ? D’autres en étaient capables tels que les chevaliers croisés à qui l’on ne demandait pas, pour autant, de faire voeux de chasteté et de « non possession ». Les « chevaliers de l’Hôpital » étaient créés depuis 1115. Ils avaient la mission de se préoccuper du sort des pèlerins et pouvaient aller au combat. Jusqu’en 1128 date à laquelle Hugues de Payns revint avec 5 autres Templiers (ils n’étaient alors plus que 4 en Terre Sainte), les moyens des Hospitaliers étaient nettement plus importants pour protéger les pèlerins.
En fait, tout en étant restés laïcs, pendant les 10 premières années, il est demandé aux Templiers plus qu’à des moines. Les moines ne sont pas au contact du monde et tout est fait pour les protéger des tentations et des passions. Or, ils ont été choisis chevaliers, entraînés aux armes, capables de protéger les « choses les plus Saintes ».
Quand Chrétien de Troyes, un demi-siècle plus tard écrira son Perceval, sans doute prendra-t-il exemple sur ces chevaliers. Que savait-il de la Quête mystique de ces 10 chevaliers ? St Bernard était mort depuis une bonne quinzaine d’années seulement (1153). Quand les continuateurs de la légende du Graal formeront les « meilleurs chevaliers du monde » pour se lancer à sa quête, ils ne feront que rejoindre la proposition de Saint Bernard. Mais quelle est cette proposition ? Pourquoi est-il nécessaire de faire des sacrifices inhabituels en ces temps-là, de tendre à une pureté indispensable tout en restant chevaliers laïcs (re-notons le) ?
C’est cette pureté détachée des passions de ce monde qui permettra à Galaad de se saisir du Graal, et à lui seul. Etait-ce alors le Graal que ces solides gaillards venaient chercher là, dans les fondations du Temple ? Sans doute pas mais plus encore que le Graal, le Temple avait été bâti par Salomon pour abriter les « Tables de la Loi » gravées du doigt de Dieu lui-même et déposées dans « l’Arche d’Alliance ».
Voici donc l’exploit que rapporte la légende : Bernard de Clairvaux avait missionné ces preux Templiers afin que ces derniers retrouvent l’Arche d’Alliance. Mais pourquoi donc puisqu’on en connaissait son contenu : sur les Tables de pierre, Dieu avait gravé les Dix Commandements avec son doigt, sur l’endroit et l’envers. Que signifie cette expression ? Et puis, pourquoi, alors tant de protection et de précaution pour des lois appliquées par tous et que tout enfant connaît ? Devant l’Arche, Moïse fait aussi placer une urne dans laquelle « un omer de manne sera mise… afin qu’elle soit conservée de génération en génération… ». La Bible précise encore que l’omer mesure un dixième d’epha et que l’epha est un poids. Y a t-il là matière à chercher, sans doute ! D’autres prescriptions avaient été remises encore mais d’ordre secondaire. Pourtant, Bernard de Clairvaux espérait être en contact direct avec la parole de Dieu…
Quand en 1128, St Bernard fait «mander ses amis de la Cité Sainte de Jérusalem en la Marche de France et de Bourgogne » où se situe Troyes, il précise en préliminaire de la Règle qu’il va remettre aux Chevaliers du Temple lors du Concile de Troyes en Janvier 1129 : « Bien a œuvré Damedieu (la Vierge) avec nous et Notre Seigneur Jésus Christ ». Le travail est donc accompli. Ont-ils rapporté le fruit de leur mission ? Il existe au portail nord de la cathédrale de Chartres, deux colonnettes sculptées représentant un chariot tiré par des bœufs et légendée ainsi : « Archa cederis », ce qui signifie « tu oeuvreras par l’arche ».
Ce serait donc dans cette contrée, la Champagne méridionale, où les ferrons pratiquaient la métallurgie aussi bien qu’Hiram (Maître d’œuvre du Temple), fils d’Ur et de Tubalcain que l’Arche d’Alliance fut rapportée. Dans ce Comté indépendant du roi de France et de Bourgogne, où la plus haute personnalité avec St Bernard, le comte Hugues se sent en mesure d’abandonner richesses et jouissances… Dans ces terres blanches où la chair salée serpente pour donner aux humains une telle inspiration…
Plus que les 10 Commandements, les pierres contenaient-elles alors les codes fondateurs d’une société nouvelle ? Une société prospère, avec des foires aux « riches heures », aux savants aux connaissances universelles, avec des territoires se couvrant d’un «manteau blanc d’églises et de cathédrales ». Comment avoir l’idée extraordinaire de ces cathédrales gothiques aux dimensions surhumaines (toujours aujourd’hui) ? Les tables étaient-elles porteuses de la solution technique ? A moins que tout y fut contenu, la hauteur, la largeur, la profondeur, comme le préconise les Saintes Ecritures ! Etait-ce alors pour cette raison que les cisterciens, en particulier Etienne Harding, Abbé de Cîteaux et Bernard protégeaient et employaient les Juifs à la traduction de l’araméen (la langue du Christ) et de l’hébreu ? Avaient-ils accès, ces rabbins, au décryptage sacré que l’on nommera la cabale ? Sans doute était-ce déjà chose connue pour les plus érudits.
Nous ne pouvons pas non plus éluder l’idée d’une lecture, somme toute universelle et confidentielle, de par le fait certain de la « Pierre » : l’Alchimie. Cet art qui met l’homme en relation et en rapport avec le « Spiritus Mundi », l’Esprit du Monde. Est-il d’autres explications qui amène Bernard à accueillir auprès de lui, ces adeptes traditionnels qui se sont convertis au christianisme : les moines-druides irlandais, dont le plus célèbre est devenu son ami, Malachie ? Car comment a-t-on pu faire autant de constructions dans une France de 15 millions d’habitants environ, pour la plupart paysans pauvres ?
Toujours est-il, la société vit alors une transformation radicale. Les Cisterciens bâtissent des centaines de monastères et leurs fidèles alliés, les Templiers forment une milice à la fois sainte mais riche à en faire jalouser les plus puissants. Les Ouvriers attachés à leurs « temples », forment aussi un ordre qui passera les siècles et qui gardera leurs secrets. Où se trouvent alors cette « Arche d’Alliance et ses Tables de la Loi » ? Personne n’en a plus fait état depuis la destruction du Temple. Le transport de l’Arche est inscrit simplement dans la pierre. La légende du Graal en est une inspiration directe. Plus que le Graal, l’Arche est une production divine.
Si sa garde en incombait aux moines de Clairvaux, une cachette nouvelle a du être l’enjeu de leurs successeurs à la Révolution, La cathédrale a hérité de beaucoup d’éléments mais sans aucun doute, les gardiens du trésor ont-ils été rusés. C’est à la postérité, emmuré dans une cachette perdue au badaud, qu’ils le léguèrent. Un signe, une énigme, un symbole donnera à un tailleur de pierre l’opportunité d’une telle découverte. A moins qu’il faille chercher dans les fouilles de la commanderie de Payns ou de celle, belle et bien disparue de la forêt d’Orient… Voilà sans doute, aussi pourquoi, nul vrai trésor n’a-t-il pu être découvert dans les commanderies templières. Car aucun stock d’or n’est nécessaire quand on possède l’Outil et la Pierre…