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Maurice Marinot, artiste-artisan du « feu » (1882-1960).
Maurice Marinot est né à Troyes le 20 mars 1882. Il est le dernier d’une famille de 3 enfants d’artisan bonnetier. De 1901 à 1905, il vient à Paris et s’inscrit dans la section de peinture de l’Ecole des Beaux-Arts, atelier de Fernand Cormon. En 1905, il expose 2 tableaux au Salon d’Automne parmi les « Fauves » avec Matisse, Van Dongen, Derain, Rouault, Dufy ou Braque. En 1911, il visite la verrerie installée à Bar sur Seine depuis 1880, qui vient d’être rachetée par les frères Viard. Il est fasciné par ce matériau qu’il décide d’utiliser.
Au début, il fait réaliser ses créations mais très vite il veut apprendre le métier. Son cheminement ne s’effectuera donc pas au sein du couple artiste-artisan comme les duos Maurice Vlaminck et le céramiste André Methey (1907), (mais aussi ponctuellement Matisse, Derain, Van Dogen ou Rouault) ou Raoul Dufy-Llorens Artigas. En 1912, il participe au Salon d’Automne à la « Maison Cubiste », avec ses verreries. L’équipe réunie par André Mare comprenait notamment Raymond Duchamp-Villon et Jacques Villon, Roger de La Fresnaye, Georges Desvallières, Marie Laurencin.
En 1913, Hébrard, le fondeur de Degas le remarque et organise sa première exposition où il fera sa première vente à l’Etat. Mobilisé en 1914, il est envoyé au Maroc où les costumes et les sites lui inspirent tableaux et aquarelles. Dés 1919, il reprend ses activités de verrier ; il vit à Troyes et se rend presque quotidiennement à l’usine de Bar sur Seine.
Il débute donc par l’émail sur verre ; il emploie le plus souvent le verre blanc limpide ou bullé ; cette technique est périlleuse : le verre casse trop facilement et ne permet pas le repentir. En 1919, à force d’observations, il s’enhardit et commence à travailler le verre à chaud et prend la décision d’entrer en apprentissage. En 1923, il est « gamin » (apprenti) à 30 ans et il est considéré « Maître-Verrier » à 40 ans. Pour lui c’est le plus beau et le plus dur des métiers.
Il énumère les techniques qui nécessitent à chaque fois une phase supplémentaire d’apprentissage : « Travail à l’acide en profondeur ; taille à la roue, en large surface ; à facettes ; à taille de silex ». « Je n’ai rien vu qui soit à la fois si précieux et si simple » confirme Derain qui admire Marinot, ses œuvres mais aussi son cheminement. En fait, il est le premier artiste de l’histoire de l’art qui retourne véritablement au métier.
Il travaille seul avec un aide. Marinot pense que le façonnage du verre lui permet de développer ses idées : « Être un verrier, dit-il, c’est souffler la matière transparente prés d’un four aveugle, avec le souffle de tes lèvres et les outils de ton métier, travailler dans la chaleur brûlante et la fumée, vos yeux remplis de larmes, vos mains sales avec la poussière de charbon. C’est produire un ordre de lignes simples dans une matière sensible et ce dans un rythme qui se marie avec le verre lui-même jusqu’au moment où vous devez redécouvrir la lueur calme où le souffle de vie évoquera la beauté vivante », ou encore quand il réalise du modelage à chaud : « Mes réflexes s’unissent à ceux propre du verre : je ne suis plus qu’un verrier plein de désirs et sans souvenir ». C’est la définition de la psychanalyse de Bachelard, son contemporain et « pays » : « Elle permet de produire spontanément des images, sans le secours de la mémoire et de la perception, sans l’apport résiduel d’expérience antérieure ». Alors, le travail physique de la matière verre participe à l’équilibre psychique de Marinot : « C’est chaque fois une belle bataille, un plaisir profond dans l’effort physique ». Alain l’aura pressenti : « On ne sculpte pas ce que l’on veut ; je dirais qu’on sculpte plutôt ce que la chose veut » ou plutôt selon la réflexion de Rodin : « Toute chose n’est que la limite de la flamme à laquelle elle doit son existence ». Marinot continue :« Pour chaque pièce, c’est la lutte entre le souffle agissant à l’intérieur et les pressions, les sollicitations des outils appliqués sur l’extérieur, ces deux forces jouant alternativement ».
Bachelard lui souhaite que soit écrite « une histoire de notre dynamisme. Malheureusement, s’insurge-t-il, nous n’écrivons que nos rêves d’oisiveté, nous avons la nostalgie d’une molle enfance. Pour garder le sens des joies de la vigueur, il faudrait retrouver le souvenir de nos luttes contre le monde résistant. Le travail, en nous obligeant à ces luttes, nous offre une sorte de psychanalyse naturelle. Cette psychanalyse porte ses pouvoirs de libération dans toutes les couches de l’être ». Cette psychanalyse est alors d’ordre initiatique ; elle élève l’âme après l’avoir purifiée. Bachelard, l’auteur de la « psychanalyse du feu » suggère d’examiner les valeurs de la patience.
A coté de la forme dégrossie viendrait l’étude de la forme polie. Un aspect temporel nouveau devrait alors être incorporé à l’objet travaillé. Le polissage est une étrange transaction entre le sujet et l’objet » ; une transaction que décrit Marinot : « Contraindre le verre tout en faisant apparaître sa vie propre ». Et quand Bachelard déclare : « Nous nous croyons donc fonder à parler d’un onirisme actif, c’est à dire des rêveries du travail fascinant, d’un travail qui ouvre les perspectives à la volonté. L’être entier est mobilisé par l’imagination, comme l’a reconnu Baudelaire : «Toutes les facultés de l’âme humaine doivent être subordonnées à l’imagination qui les met en réquisition toutes à la fois… », Marinot l’illustre : « Pièces nées du feu et qui viendraient (…) exprimer l’eau dormante ou ruisselante, la glace qui craque et qui fond, par des expressions contrastées de surface et de profondeur du verre transparent, la glace impure, les fonds de rivière, le givre. J’ajoute le glissement des épaisseurs de verre l’une sur l’autre, ainsi que des couches géologiques. »
Bachelard s’interroge alors : « Comment une philosophie de l’action comme la philosophie bergsonienne a-t-elle pu mutiler la psychologie de l’homo faber au point d’en négliger la moitié et, précisément, la partie temporelle, celle qui organise le temps de travail, qui en fait une durée volontaire et réglée ? ». On trouvera dans les notes de Marinot la culture et l’humilité de l’artiste et la patience de l’apprenti, l’obligation de la rapidité d’exécution et l’impossibilité du repentir : « les pièces naissent les unes des autres ; ce sont les vivantes réactions du verre pendant la lutte de la dernière verrerie qui, par leur souvenir commandent une autre pièce ». Marinot apporte donc un champ nouveau à l’expression de l’art au même titre qu’Enstein dessine de nouvelles perspectives à la science ; tous deux explorent l’intuition et l’imagination, et utilisent la tension entre image et concept.
En 1927, Marinot se met au modelage à chaud : « C’est ma dernière manière en verrerie. Après mes verreries émaillées, après les pièces puissantes et nues, les pièces profondément gravées, vient le modelage à chaud, aboutissement de ma longue fréquentation du verre. A partir de 1927, je commence cette nouvelle période, la plus passionnante : c’est le modelage à chaud et en force des pièces très épaisses et d’un seul bloc. C’est l’expression personnelle de ce que mon sentiment de la nature me suggère en alliance avec le verre et pour son exaltation. Mes réflexes s’unissent à ceux propres du verre : je ne suis plus qu’un verrier plein de désirs et sans souvenir. Il me faut provoquer dans le plein de la matière incandescente ses réactions souples et charnues. Dans l’épaisse matière dont le poids m’enchante, sans aucun moule, avec des outils classiques du verrier et ceux que me réclame mon sens personnel de la matière, je poursuis cette passionnante étude. L’épaisse et onctueuse matière soumise à des pressions, des enfoncements, des glissements alternant avec des gonflements prémédités, me permet d’approcher de ce mélange de force et de souplesse que je désire. Ce bloc de matière qui vit par lui-même et par votre souffle, se transforme incessamment par son poids et sous vos outils et relie en un seul et même rythme toutes les parties d’une pièce. A la rigueur d’un plan dominateur longuement cherché après et d’après des empoignades avec le verre, s’ajoutant à l’exécution les incidents de la vie propre du verre, ses volontés qui sont des conseils avec lesquels il faut compter ; ce sont des embellissements ou des points de départ pour de prochaines pièces. » Le dialogue virtuel continue avec Bachelard : « Quand on aura compris que l’outil implique une dynamisation du travailleur, on se rendra compte que le geste ouvrier n’a pas la même psychologie que le geste gratuit, que le geste sans obstacle qui prétend donner une figure à notre durée intime, comme si nous n’étions pas liés au monde résistant… »
Paul Feller, le fondateur des collections de la Maison de l’Outil et de la Pensée Ouvrière, qui comme Marinot avait fait un apprentissage tardif de forgeron (42 ans) est sur la même longueur d’ondes : « l’outil permet un dialogue avec soi-même ; je me parle moi-même et je me corrige moi-même. Je me découvre moi-même. J’apprends que ce sont les mêmes lois qui régissent le matériau que je prétends transformer et ce qui, en mon être, est matériel. Je fais ainsi l’unité entre ma vie personnelle intérieure et ma vie professionnelle de producteur. A tel point, qu’à la limite, on peut se demander, quoi ou bien qui je forge, le fer ou bien ma propre personne ».
Marinot travaillera ainsi jusqu’à la fermeture de la verrerie, en 1937, après quoi il continuera son activité de peintre. Pendant 25 années, il aura créé environ 2500 pièces en verre. En 1944, lors de Libération de Troyes, son atelier est bombardé ; plusieurs milliers de toiles et de verreries sont détruites. S’élevant contre la terminologie d’art décoratif, il est tenant de l’art total, tout en se défendant de réaliser des pièces abstraites et qui ne correspondraient pas au savoir-faire de la fabrique : « les anciennes verreries françaises d’une perfection si simple, qui ne prétendent ni à la matière précieuse ni à la virtuosité d’exécution et dont le miracle est plus grand d’être sans apprêt… Je les préfère aux tours de force orgueilleux et aux jongleries des Vénitiens, leurs matières plus robustes, leur formes plus simples et plus ordonnées, sont belles de l’amour du verre, plus que de l’orgueil du verrier ». Il meurt à Troyes le 8 février 1960.