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Légende de Maître Jacques.
Tandis que le compagnonnage du Devoir de Liberté se glorifie d’avoir eu pour fondateurs Salomon et Hiram, le compagnonnage du Devoir (ou du Saint-Devoir de Dieu comme on le nomme parfois) prétend avoir été créé par un personnage fabuleux nommé Maître Jacques. Mais ici, la légende bifurque et nous avons le choix entre deux versions différentes. D’après la première version, admise par Perdiguier et présentée par lui dans son Livre du Compagnonnage (2ème édition, t.I, p. 35 et suivantes), Maître Jacques, l’un des premiers maîtres artisans de Salomon et collègue d’Hiram, serait né à Carte (qui serait aujourd’hui Saint-Romili, localité impossible à identifier) et aurait appris dès son enfance à tailler la pierre. Il aurait voyagé dès l’âge de quinze ans, visitant successivement la Grèce, l’Égypte, la Palestine, puis serait arrivé à Jérusalem à l’âge de trente-six ans après avoir voyagé vingt et un an de sa vie. Il y travailla, dit-on, à la construction du Temple et bâtit deux colonnes dodécagones : la colonne Vedrera et la colonne Macaloe. Sur ces colonnes étaient sculptées diverses scènes de l’Ancien Testament : la chute d’Adam et Eve, le songe de David ainsi que des épisodes de la vie de Maître Jacques lui-même. Il fut nommé maître des tailleurs de pierre, des maçons et des menuisiers.
Le Temple achevé, Jacques quitta la Judée en compagnie d’un autre maître, Soubise, avec lequel il se brouilla bientôt et dont il se sépara. Le navire qui portait Soubise aborda à Bordeaux. Jacques débarqua à Marseille1 avec ses treize compagnons et ses quarante disciples. Il voyagea encore trois années pendant lesquelles il eut à se défendre contre les embûches des disciples de Soubise qui un jour l’assaillirent et le jetèrent dans un marais ; il parvint à se cacher derrière des joncs. Ses disciples arrivèrent et le secoururent. Enfin Jacques se retira en Provence dans l’ermitage de la Sainte-Baume. L’histoire de sa fin paraît avoir été calquée sur le récit de la Passion du Christ. Un de ses disciples, l’infâme Jéron (que d’autres nomment Jamais), le trahit. Un matin, alors qu’il était en prières dans un lieu écarté (tel Jésus à Gethsémani), Jéron vint le trouver et lui donna le baiser de la paix. C’était le signal convenu. Cinq assassins se jetèrent sur Maître Jacques et le percèrent de cinq coups de poignard2. Il vécut cependant encore quelques heures et put, avant d’expirer, faire ses adieux aux compagnons tardivement accourus. « Je meurs, dit-il, Dieu l’a voulu. Je pardonne à mes ennemis, je vous défends de les poursuivre ; ils sont assez malheureux. Je donne mon âme à Dieu mon créateur, et à vous, mes amis, je ne puis rien donner, mais recevez mon baiser de paix. Lorsque j’aurai rejoint l’être suprême, je veillerai sur vous. Je veux que le baiser que je vous donne, vous le donniez toujours aux compagnons que vous ferez, comme venant de votre père ; ils le transmettront de même à ceux qu’ils feront. Je veillera sur eux comme sur vous tous, pourvu qu’ils soient fidèles à Dieu et à leur Devoir et qu’ils ne m’oublient jamais ».
Lorsque Jacques fut mort, ses disciples lui ôtèrent sa robe et trouvèrent un petit jonc qu’il portait toujours en souvenir des joncs qui l’avaient sauvé alors qu’il était tombé dans le marais. Les compagnons placèrent le corps sur un lit qui fut transporté dans une grotte. Il y resta exposé pendant deux jours tandis qu’un feu alimenté par de l’esprit de vin et de la résine brûlait autour du sarcophage improvisé. La dépouille mortelle de Maître Jacques fut ensuite portée processionnellement par les compagnons jusqu’à un lieu proche de Saint-Maximin où il fut enseveli après l’accomplissement de tous les rites consacrés3.
La garde-robe de Jacques fut partagée. On donna son chapeau aux chapeliers, sa tunique aux tailleurs de pierre, ses sandales aux serruriers, son manteau aux menuisiers, sa ceinture aux charpentiers et son bourdon aux charrons.
Le traître Jéron eut la même fin que Judas. Dévoré de remords et désespérant de la miséricorde divine, il alla se jeter dans un puits qui fut comblé. Soubise fut accusé d’avoir été l’instigateur du meurtre de Jacques. Mais cette accusation, qui entretint longtemps la désunion entre les compagnons des deux rites, fut jugée injuste par nombre d’enfants de Maître Jacques eux-mêmes. Soubise, d’après cet autre récit, versa des larmes amères sur la tombe de son ancien ami et flétrit énergiquement son assassinat.
Une seconde version veut que Maître Jacques, loin d’avoir été un simple artisan contemporain de Salomon, soit tout uniment le même personnage que Jacques de Molay, le dernier grand-maître des Templiers, brûlé par ordre de Philippe-le-Bel. Les Templiers, fait-on observer, étaient de grands constructeurs d’églises ; ils avaient été initiés en Orient à maintes pratiques secrètes qui furent révélées au cours de leur procès. Jacques de Molay a donc pu donner une règle aux ouvriers maçons, tailleurs de pierre, charpentiers, etc… qui travaillaient pour le Temple, et les grouper en sociétés de compagnons. Cette version, à première vue moins invraisemblable que la précédente, ne repose, ainsi que nous le verrons, sur aucun fondement sérieux ; l’existence de relations entre les Templiers et les confréries ouvrières d’où est sorti le compagnonnage, n’est pas, en soi, impossible, mais demeure purement conjecturale, aucun fiat, aucun indice même de permettant d’apporter aucune affirmation à cet égard4.
Légende de Soubise.
La légende de Soubise est implicitement contenue dans celle de Maître Jacques ci-dessus racontée. Soubise aurait donc été, lui aussi, l’un des architectes du Temple de Salomon ; tout d’abord ami de Jacques, il se serait, comme il a été dit, séparé de lui par la suite et même, d’après certains (mais le fait est conteste) aurait été l’instigateur de son assassinat.
D’après un autre récit, Soubise aurait été un moine bénédictin et aurait vécu à la fin du XIIIème siècle. C’est en effet sous le costume des religieux de Saint-Benoit que ce fondateur est ordinairement représenté sur les images affichées dans les cayennes (loges des compagnons). Soubise aurait participé en même temps que Jacques de Molay à l’œuvre de la construction de la cathédrale d’Orléans (église Sainte-Croix). Le compagnonnage aurait été fondé à cette époque. Soubise aurait survécu quelques années au grand-maître des Templiers.
1 Perdiguier lui-même reconnaît qu’il y a ici un anachronisme évident. Marseille n’a été fondée que 600 ans et Bordeaux 300 avant J.-C. c’est à dire bien postérieurement au siècle de Salomon.
2 Maître Jacques était alors, d’après la tradition, dans la 47ème année de sa vie.
3 Pour plus de détails sur cette légende, voir Perdiguier, Livre du Compagnonnage, 3ème édition, t. I, p. 36 et suiv.
4 Dans un ouvrage, au surplus dépourvu de toute valeur, et qui n’est le plus souvent qu’un assez plat démarquage des récits autrement pittoresques et colorés d’Agricol Perdiguier, M. Simon (auteur d’une Étude historique et morale sur le Compagnonnage, Paris, Capelle, 1853) a adopté cette version et pense la justifier en démontrant que les principales circonstances énumérées dans la légende classique de Maître Jacques, architecte du Temple de Salomon, s’appliquent à merveille à Jacques de Molay. M. Simon établit, en effet, le rapprochement suivant : 1- Maître Jacques (d’après la légende) serait né dans la Gaule méridionale ; Jacques de Molay était né en Bourgogne (nous nous demandons vraiment en quoi ce fait peut bien fortifier la thèse admise par M. Simon, à moins que cet auteur, peu versé en géographie, ait confondu la Bourgogne, province du Centre, avec la Gascogne, province du Midi). 2- Maître Jacques revient dans son pays après avoir séjourné à Jérusalem ; Jacques de Molay revient lui aussi de Palestine, pour prendre le gouvernement de son ordre. 3- C’est en embrassant Maître Jacques que Jéron donne le signal de son assassinat. De même, l’ennemi du grand-maître, Philippe-le-Bel,, avant de le faire arrêter, l’appelle à Paris, le flatte, l’endort de caresses (sic). 4- Maître Jacques fut, un jour, précipité dans un marais et, après sa mort, ses disciples jetèrent dans les flammes d’un bûcher ce qui avait servi à ses funérailles. Jacques de Molay périt sur un bûcher dans une petite île de la Seine, etc… Toute l’argumentation de M. Simon est de cette force !