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Les prémices du Syndicalisme ouvrier.
Le 15 décembre 1759, un maître pâtissier, dénommé Cligny est condamné pour avoir enfreint la réglementation de la ville de Troyes qui interdit à qui que ce soit de se proclamer Mère des compagnons et d’accueillir ces compagnons ; il s’agit là d’une Mère des Compagnons menuisiers : la désignation de « Mère » s’appliquant tant au lieu qu’à la personne… la requête d’interdiction avait été promulguée le 10 juin 1752 ; plusieurs compagnons menuisiers avaient été condamnés « à battre au champs ( expulsés de la ville) pour s’être attroupés avec cannes et bâtons… » Le maître pâtissier, en qualité de Mère des compagnons menuisiers, loge place du « Marché à bled » ( ou Marché au Blé, l’actuelle place Jean Jaurès) ; un attroupement de compagnons menuisiers et serruriers ( ces deux métiers du compagnonnage se retrouvaient toujours chez les mêmes Mères), le 30 novembre 1759, avait amené la « maréchaussée », à tirer sur ces derniers qui avaient immédiatement répliqués par des jets de pierres… Une Sentence du 28 avril 1770, qui reprend les Ordonnances de 1725 et 1757, précise de nouveau que les Aubergistes doivent inscrire les passants, en particulier les Compagnons sur des livres ou Rôles, sans aucun blanc et en précisant bien leurs surnoms.
En 1760, le Lieutenant de police de la « ville et des faubourgs » de Troyes, signe une ordonnance « portant règlement pour la police et discipline des compagnons et ouvriers des communautés des arts et métiers ». En fait, il réitère une ordonnance de l’année précédente où il défend aux compagnons de se rassembler dans les cabarets et cafés, puisqu’à la sortie, ils créent un « tapage dans les rues et les portent à différents excès, soit entre eux, soit contre ceux qui ont le malheur de se trouver à leur rencontre ; qu’ils se livrent d’autant plus aisément à ces excès que n’étant la plupart connus que par le nom de province, il leur est plus facile de se soustraire aux poursuites de la justice et que l’impunité leur paraît plus assurée ». Le Lieutenant de police exige des maîtres que soit donc noté sur un registre le nom, le surnom (ex : Berry le bien décidé), l’âge des compagnons et des apprentis, le lieu de naissance et la province ; il devront aussi ajouter leur lieu de provenance, où il déclare avoir travaillé avant d’arriver à Troyes ; en cas de fausse déclaration, les compagnons seront emprisonnés. De plus, les compagnons et les apprentis devront être rentrés chez leur maîtres à vingt et une heures, y compris le dimanche et jours de fêtes ; si un maître est témoin d’un écart, il doit sous peine d’amende, dénoncer son compagnon ; les compagnons ne pourrons plus se réunir à plus de trois, de jour comme de nuit, et ne pourrons organiser des « conduites » ( procession où les compagnons défilent avec leur décors et en habits de fête, lorsqu’un des leurs quitte la ville pour rejoindre une autre ville sur son tour de France) ; ils ne devront plus porter de cannes, bâtons ou armes ; les cabaretiers et marchands de vin pourront être puni d’une amende s’il servent des compagnons après vingt et une heures ; enfin, le Lieutenant de police interdit à tout hôtelier, cabaretier, bourgeois « de quelqu’état, profession et condition qu’elles soient de se dire et prendre la qualité de Mère desdits compagnons et ouvriers, de les recevoir en cette qualité, de s’entremettre de placer lesdits compagnons chez les maîtres, ni d’aucune manière et sous quelques prétexte que ce soit ». En fait cette ordonnance s’adresse à toutes les communautés de métier et elle nomme plus particulièrement les métiers où les compagnons semblent incontrôlables : les compagnons tisseurs, menuisiers, serruriers, tondeurs (de draps), charpentiers, couvreurs, torcheurs maçons…
Le 10 septembre 1773, le Lieutenant de police de Troyes rédige une ordonnance qui stipule aux compagnons de donner des arrhes à l’embauche qui leur seront rendus à leurs départs ; un « billet de congé » sera alors rédigé qui sera exigé à l’embauche prochaine. Le même jour, une Ordonnance est prise, reprenant l’ensemble des sentences et ordonnances qui réglementent les Compagnons (en particulier les Perruquiers) et qui interdit la fonction de Mère ou de Père des Compagnons. Dans l’Arrêt du Conseil Supérieur de Chalons du 19 août 1773, concernant les Menuisiers toutes ces décisions ont déjà été prises, ce qui semble à chaque fois restées lettres mortes. Ce qui est très intéressant à noter dans cet Arrêt c’est le constat des prémices d’un syndicalisme puisque, à l’instar des Compagnons les sédentaires se rassemblent et s’organisent… Dans cet Arrêt, il est noté que « …l’exemple donné par les Compagnons externes, influe beaucoup sur ceux qui se sont établis dans la ville, et que l’on appelle vulgairement Cornichons, lesquels s’assemblent, se réunissent de même aux ordres et mandats d’un chef, font et suivent des statuts et assistent en corps à la célébration de services et confrérie au mépris de la Sentence rendue au bailliage de cette Ville, le 26 juillet 1761… ». En mai 1730, le terme avait d’ailleurs déjà été employé à Montpellier à l’encontre des Charpentiers et des Menuisiers : « par un abus punissable, ils ont entrepris de faire un syndicat entre eux, de prendre même des délibérations contre le corps des maîtres menuisiers et charpentiers… ».
Ainsi le 3 septembre 1774, Pierre Cotel est condamné « pour avoir fait fonction de Procureur de Confrérie le jour de la fête des Tisserands, au mépris des règlements » (il cite justement la Sentence du 10 septembre 1773). L’huissier a vu sortir de l’église de la paroisse de St Aventin une procession, « il a appris que c’était des Compagnons Tisserands et quelques Maîtres, (…), que la procession entrée dans l’église, il a vu Cotel se placer a un bureau mis exprès (…), avec un Registre posé devant lui, sur lequel il a inscrit toutes les personnes qui se présentaient et qui payaient des sommes d’argent (…) ; que ces sortes d’Associations et de Confréries étant expressément défendues par Lettres-Patentes… ». Le 9 octobre 1773, les Compagnons Drapiers de Troyes avaient déjà été visés à ce sujet. Le 6 août 1778, une Sentence condamne les Compagnons Drapiers, Julien Mellier dit Breton, François Lalande dit Bourguignon, Noël Mathieu dit Sans Souci pour s’être attroupés et « avoir fait rébellion… ». Le 19 juillet 1783, ce sont les Perruquiers qui sont visés ; ils n’ont pas le droit de s’assembler ou de se promener à plus de 4 ; il est aussi interdit à leur Mère (qui continue d’exister), dénommée Soupault de les recevoir à plus de 4 et y compris en ce qui concerne les autres cabaretiers. La sentence enjoint les contre-venants à se conformer aux arrêts de la cour des 7 septembre, 12 novembre 1778 et du 29 janvier 1782.
De nombreux articles sont rédigés pour maîtriser les vols de matériaux dans les ateliers et les chantiers ( un compagnon charpentier dénommé Lamoureux, sera condamné, l’année suivante pour avoir emporté « un morceau de bois de chêne », de l’atelier où il travaillait) ; le 1er février 1777, c’est un certain Nicolas Charton, Compagnon Charpentier qui est puni pour la même cause (le8 août 1778, ce sera le Compagnon Charpentier Desloriers qui sera dans le collimateur de la justice). De nombreuses Ordonnance furent délivrées à ce sujet, en particulier à l’encontre des Charpentiers, des Couvreurs et des Torcheurs (Ordonnances du 2 janvier 1749 du 16 février 1767). Lors de la rénovation d’une charpente, d’une couverture ou d’un torchis, les compagnons estimaient que la récupération leur était acquise, ce que les « Bourgeois » n’entendaient pas ainsi. Par ailleurs, en ce qui concerne les compagnons charpentiers « connus communément sous le nom d’Agrichons, Renards ou Bondrilles » note l’Ordonnance, il leur est enjoint de ne posséder que des outils définis qui compose ordinairement « le petit sac », à savoir : la rainette, la jauge, le petit compas, la fausse équerre ou grand compas, plomb, cordeau, sauterelle, pierre noire et lime », sous peine de saisie. Le 31 janvier 1789, une sentence sera faite au Compagnons Charpentiers, concernant la possession d’outils. Il est d’ailleurs défendu aux taillandiers, aux Maréchaux et aux « ferrailleurs », de vendre des outils aux Compagnons Charpentiers qui ne feraient pas partie de la liste du « petit sac ». La raison était simple : ne pas donné de moyen ou de s’entre-tuer ou d’entreprendre un chantier trop important sans être soumis à la Corporation.
Les Maîtres avaient, cependant, une haute opinion de ces compagnons ; ainsi l’imprimeur troyen, Le Febvre écrivait en 1760, sur les gardes d’un exemplaire du « code de la librairie de Saugrain : « les gens de conscience sont les compagnons qui ont 3 livres par jour, plus ou moins suivant leur force. Ils sont aux ordres de tous les ouvriers et font les fonctions ( ils aident ) des compositeurs… » En Mai 1660, Nicolas Oudot, imprimeurs à Troyes, embauche 2 compagnons pour travailler à Sens sur différents livres liturgiques ( qu’il faisait en société avec l’imprimeur, Louis Prussurot ; ils doivent dormir ensemble dans une chambre garnie louée par Oudot ; ils sont « tenus de tirer 2500 feuilles du « processionnaire » par journée, suivant l’ordre qui s’observe en l’imprimerie ; pareil nombre sur le « rituel » et à leur conscience sur le « diurnal », ce dernier livre étant sans doute d’une exécution plus difficultueuse ». Et tout comme on s’évertuait à les contrôler et à essayer de les dompter, à l’instar de l’Edit de 1419 concernant les Cordonniers, les Ediles en avaient recours régulièrement, souvent d’ailleurs, sous la demande pressante des Maîtres ; ainsi le 19 mai 1728 une ordonnance est prise, concernant les couvreurs, afin de prendre les dispositions pour palier aux réparations nécessaires, à la suite d’un violent orage. Tout d’abord, une augmentation des prix est accordée sur les travaux de couverture ; « parce que cette augmentation refluant sur les Compagnons en attireront de tous les pays voisins… ».