Dominique Naert - Nous n'avons pas la capacité de changer le monde, mais celle de changer notre propre vision du monde…/… We can't change the world, but we can change our view of it.
 
avr
8

Le symbolisme des outils

Ecrit par Dominique

Le symbolisme de l’outil par Dominique Naert

Les outils des Compagnons et des Artisans prennent, dans la sensibilité de leurs propriétaires, une dimension qui transcende la seule satisfaction du travail bien fait.

C’est l’ouvrier qui guide l’outil, maîtrise le matériau et voit progressivement naître le fruit de son habileté.

Au-delà de la satisfaction que lui apportent ses qualités manuelles, au-delà des considérations matérielles, la « bel ouvrage », selon le vocable ouvrier, l’amène à une réflexion sur le sens de sa vie.

Et par différents cheminements, l’outil et son propriétaire sont transformés en une même entité.

Mais comment l’outil utile (selon son étymologie) et transformant la matière est-il devenu symbole ?

Les outils du Maçon qui bâtit des Temples, la demeure des dieux ; les outils du Forgeron qui maîtrise le feu et fond le fruit des entrailles de la terre-mère ; ou ceux des agriculteurs qui ensemencent cette même mère : tous ces outils semblent encore chargés d’enchantement et de messages à transmettre… Ils étaient les instruments de création d’hommes aux mains magiques, aux propriétés quasi divines qu’ils vont revendiquer eux-mêmes, conscients de l’or qu’ils détenaient.

Le forgeron a été le principal agent de diffusion des mythologies, des rites et des mystères métallurgiques. Et nombreux sont les Héros antiques, mi-dieux mi-hommes, métallurgistes et forgerons, souvent boiteux, qui continuaient, l’œuvre de la Création : Tubalcain, descendant de Caïn, le premier des forgerons ; Vulcain ou Héphaïstos, le dieu forgeron selon la mythologie romaine et grecque ; Hiram, le fondeur des colonnes du temple de Salomon…

Dans les sociétés archaïques, on donnait, on donne aux métallurgistes ou aux forgerons le pouvoir de changer le mode d’être des Substances. Avant eux, le premier potier était déjà considéré comme un être hors du commun, certainement un magicien et tout ce qu’il utilisait, ses outils, son feu, était tabou pour l’homme « ordinaire ».

Mais, le travail du métal nécessite encore plus de patience et de science, d’observation et de silence, de puissance de feu et d’outils adaptés, de rites et de transgressions, de courage et de génie. Et ce sont là précisément, les origines des mythes, des rites et des symboles. Un symbolisme dont ont nécessairement bénéficiés les outils. Le Faivre ou fabre (fèvre) devenant orfèvre, sera amener à produire à meilleur compte l’or, l’argent ; le teinturier utilisera tout son génie pour créer lui-même les pierres précieuses et la pourpre ; le verrier, le fresquiste, le doreur, tous seront détenteurs du secret de la transformation du minerai, de la pierre brute.

L’expérience de ces maîtres du feu est un monopole et le secret s’est transmis par les rites initiatiques des métiers ; ils travaillent la Matière, la « materia prima » qu’ils tiennent pour vivante et très sacrée.

Ils participent d’une œuvre magico-religieuse qui semble si démiurgique (du grec dêmiourgos, « créateur de l’univers ») qu’elle entre dans le champ des sorciers et des chamans. Un savoir qui intéresse les puissants et les prêtres des grandes civilisations de l’âge du bronze ; l’Égypte comme la Chine développera un art de la transformation des métaux qu’ils qualifieront de Grand-œuvre, d’ars magna, d’Art Royal ; les arabes parleront d’alchimie, الكيمياء, al-kīmiyā.

L’alchimie ne fut pas, à l’origine, une chimie embryonnaire même si elle tire ses sources et sa technique de l’observation de la métallurgie ; elle ne l’est devenue que plus tard. Une rupture idéologique se crée dès le début entre l’homme de métier et l’alchimiste. Et c’est cette même décomposition de l’idéologie alchimique qui est à la naissance de la chimie. L’alchimie était un art sacré, alors que la chimie est une science qui s’évertue à désacraliser les substances. Pourtant, la continuité expérimentale historique entre cet art et cette science n’est pas à nier. Mais plus encore, elle eut lieu « lorsqu’un grand nombre d’Alchimistes abandonnèrent leurs alambics et leurs creusets pour se consacrer entièrement à la philosophie (hermétique) ». (C.G. Jung. Psychologie et alchimie).

C’est une rupture identique qui sera à la fondation de la Franc-maçonnerie spéculative. Un combiné de clientélisme et de pillage qui accentuera la décomposition des « Anciens Devoirs » et qui poursuivra la lente agonie des métiers. Une Franc-maçonnerie qui tirera son processus de la fine analyse du processus alchimique et des mythes, des rites et des symboles de métier.  

Mais quel est le processus alchimique ? L’Alchimiste s’attache à la « passion », à la « mort » et au « mariage » des substances, en tant qu’ordonnés à la transmutation de la Matière (la Pierre Philosophale) et de la vie humaine.

L’adepte passe progressivement de l’état d’imperfection à l’état de perfection. L’état d’imperfection est semblable à un état de sommeil ; les corps s’y trouvent comme les « dormeurs enchaînés en Hadès »(Berthelot) et sont tirés de la mort et éveillés à une vie nouvelle et plus belle. « De pierres mortes, transformez-vous en pierre philosophales vivantes » (Dorneus – Alchimiste allemand du 16e S. Disciple de Paracelse). « Pour ce faire, l’adepte doit accomplir en sa propre personnalité le même processus qu’il exige de la matière » commente C G Jung (Psychologie et Alchimie). « A la suite de la projection, il s’établit une identité inconsciente entre la psyché de l’Alchimiste et la substance de l’arcane, ou substance de transformation, c’est-à-dire l’esprit emprisonné dans la matière », continue encore Jung. C’est cette transmutation que vérifie l’adepte jusque dans ses tripes.

Tout comme le fondeur ou le forgeron, l’alchimiste travaille sur une matière à la fois vivante et sacrée ; son art poursuit la transformation de la matière, son perfectionnement et sa mutation. Il participe à un mystère. Puisque, n’oublions pas que le mot « mestier » tire son étymologie du latin « mysterium ».

Mais, de quel mystère serait donc doté le métier ? Sans nul doute de transformer l’apprenti en un homme de métier, mais pas seulement, en un Homme dans toute sa dimension universelle et dont la conscience atteint un très haut degré d’éveil. On en trouve l’expression dans la « conscience professionnelle ». Mais elle agit pourtant dans sa vie d’Homme toute entière. Une vie riche d’être plus que d’avoir.

Dans «La Terre et les Rêveries de la Volonté», Bachelard nous explique que : «par le marteau ouvrier, la violence qui détruit est transformée en puissance créatrice… Le travail de la matière permet à l’adolescent de rééquilibrer son énergie par la médiation de l’outil. Il sent son corps se transformer par l’action répétée de son geste. Sa vigueur canalisée le surprend et lui ouvre des perspectives jusqu’alors ignorées. Concentré sur son ouvrage, il reprend confiance en lui, il devient fort, même si ses doigts sont endoloris par sa maladresse ; il apprend à se connaître lui-même. Il apprend à être juste, à voir juste, à entendre juste, à considérer et à agir juste. Il apprend aussi à garder le silence.

- N’avez-vous jamais remarqué combien les hommes de métier sont des taiseux ?

Or vous savez, sans aucun doute, que le mot mystique vient du grec μυάω muaô qui signifie « se taire », « être silencieux ». Cette large notion regroupe l’ensemble des pratiques qui, à travers le monde, visent à exprimer ou à faire ressurgir la vérité cachée.

Alors si l’outil renferme des secrets, sans doute transmet-il à celui qui le manipule, le sens fondamental du sacré ? Et c’est en cela que l’individu accède, par régression et transgression du secret intime et inviolable, à la véritable connaissance… la connaissance de lui-même.

Dès lors, « Il Est ce qu’il connaît ».

Par imitation du maître et projection dans la matière, l’apprenti vit une véritable mutation, une promotion d’être. La projection (proiectio) est ce processus préconscient qui n’agit aussi longtemps qu’il demeure inconscient. Ce phénomène qui échappe à la conscience, s’exprime dans les rêves éveillés, les visions qui naissent systématiquement dans l’action répétée sur l’ouvrage. Phénomène qui caractérise la personnalité de l’apprenti, auquel est attribué un niveau de conscience plus important que celui du profane. Il s’est identifié aux archétypes de la matière. Il est ce qu’il connaît.

C’est donc par mimétisme de son maître d’apprentissage et à la relation muette mais riche avec les autres de l’atelier, par l’abnégation envers l’ouvrage et au détachement qu’il montrera dans l’abandon final de l’œuvre accompli qu’il accèdera au seuil de la spiritualité. Une dimension spirituelle purement laïque, convenons-en, qui place l’homme au-delà de la nécessité et du sens moral indispensable. Il donnera progressivement du sens à sa vie. Par ce dialogue universel, l’individu s’enhardit et se métamorphose pour prendre place au sein du monde, par une expérience physique du monde : c’est une pédagogie du réel, du vrai.

Ce qui fait dire à Feller, le fondateur des collections de la Maison de l’Outil et de la Pensée Ouvrière à Troyes que « Pratique, beau, divers, l’outil transpire l’unité de l’homme qui l’a conçu, utilisé, soigné, transmis. Particulier en son utilité, il sue bien d’avantage encore l’unité d’un homme dont toute porte à penser qu’il n’est devenu « faber » qu’à force de s’être voulu « sapiens ». Rustique souvent, orné presque toujours il procède davantage du sacré que du profane. Il est vif, vigoureux, franc et, plus encore qu’efficient il fait non seulement ce que veut l’homme mais il fait de l’homme ce qu’il veut devenir. Etant ici ceci et là cela, partout il est semblable à soi-même, le signe d’un mieux vivre dont la plus-value assure à qui s’en sert adroitement le pain dans la main. Le couteau pour couper bien doit couper mieux. Là, plus profondément que ce qui le sépare des autres, l’homme en tant qu’il est « faber » se montre au plus haut point « sapiens », là, l’homme passe l’homme. A qui veut entendre les outils nous dirions, le prenant entre vos mains pour vous en servir -ne fusse qu’en esprit-goûter l’homme qui vit en vous, universel ». (Paul Feller)

L’outil permet donc le dialogue avec la matière, l’échange d’informations ; il amplifie l’acte de l’homme de métier. Il n’est en aucune manière le prolongement de la main, mais bien «le contacteur de l’univers» : «L’homme, grâce à l’outil, s’est senti communier avec l’Univers entier. Depuis toujours et pour toujours, tandis qu’il enfermait dans ses doigts le Monde, en faisant corps avec…». «Manipulant l’outil, l’ouvrier s’universalise en se particularisant», «il retrouve l’universalisme de sa vocation humaine», accédant ainsi à une dimension universelle. L’apprenti, en devenant homme de métier, se particularise, forge sa personnalité en se «concentrant» sur l’ouvrage. «Ainsi, l’outil, dans son emploi, apparaît non plus comme extrapolation indéfinie de la main, mais comme concentration restrictive et non pas de la main, mais de l’homme tout entier» qui «retrouve ainsi son unité perdue». «L’outil que nous cherchons permet de poser déjà la question de l’apprentissage car il respecte à la fois son aspect particulier et sa tendance à l’universel». Il demande de «chercher les constantes, les signes des seuils de passage à l’universalisme et de l’unité de l’Homo Faber»(14 04 78).

 

Ainsi les Compagnons du Devoir et les Francs-maçons semblent prêter à l’outil une signification qui relate la nature profonde de l’homme depuis le début de l’humanité. Nous pouvons donc légitimement comprendre cet attachement à l’outil comme une velléité de recherche sur la dimension intime de chacun, sa volonté de se construire une identité épanouie.

Et, parce qu’il s’agit en l’occurrence depuis la préhistoire jusqu’à nous, d’actes successifs, de manifestation de pensées exclusivement ouvrières où l’homme de science pure, le cérébral pour tout dire, n’a aucune part, où il n’intervient jamais, tout porte aussi à croire que cette mélancolie plonge dans les territoires insondés et irrationnels des individus, au temps où chacun de nos ancêtres étaient hommes de métier : ainsi, l’outil en tant que symbole puise dans cet irrationnel des origines et les archétypes véhiculés par l’entremise de notre imaginaire vrai, nous permet de visiter réellement notre terre-Adama, de préparer le terreau avant de l’ensemencer et de la cultiver.

A chaque moment où le descendant (le compagnon ou le Franc-maçon) du père fondateur est au contact d’un outil ou de sa représentation graphique, il rentre en résonnance avec sa vérité immanente. Il ressent ce qui est vrai. Il fait une rencontre avec son soi profond. Lorsqu’il le tient pour tailler une pierre, un bois, un métal, il rentre en communion avec l’unité principielle, des heures entières, une éternité même. S’il sait voir, entendre, toucher, goûter et s’exprimer, il comprend la folle épopée de l’humanité depuis son début.

Car l’outil, loin d’être le prolongement de la main, est un transmetteur. Transmetteur d’énergie, soit, mais plus encore d’humanité. Il fait non seulement ce que veut l’homme, mais il fait ce qu’il veut devenir : Homme, dans sa dimension universelle et humaniste ».

Aussi donc l’apprenti qui manipule l’outil connaît une véritable promotion d’être. Il apprend la patience, intègre la notion du temps nécessaire à la bonne exécution d’une œuvre en fonction de la matière travaillée, de sa dureté et de sa complexité.

Une notion que l’individu vivra de l’intérieur en se concentrant sur son ouvrage. Transformant la matière première, il se transforme d’abord lui-même ; ainsi, les lois cosmiques que possède le matériau travaillé sont instantanément respectées par celui qui tient l’outil en main. Or le temps ainsi dépensé, qui coule tout d’abord lentement puis, progressivement plus vite à force de maîtrise, concourt à l’élaboration de sa vision du Monde et au progrès.

L’opératif, homme de métier a donc une corde à son arc fondamentale pour sa réalisation, son éveil : pour la quête de son graal. Une quête qui se veut et se doit dans l’action ; elle répond à la nécessité de transcendance mentale, éthique et psychique de toute aspiration spirituelle. Une spiritualité qui n’est pas nécessairement religieuse mais éprise d’une liberté qui va à la rencontre de l’autre, tenant compte de la globalité, de l’unité. Entrer sur la voie de la recherche spirituelle consiste à se remettre complètement en cause et reprendre l’entrée diamétralement opposée à celle du monde profane. Elle consiste à ne pas imaginer qu’il est possible d’accéder au monde de l’esprit sans en passer par le monde de la matière et celui de l’âme. Penser cela serait faire fausse route.

Elle consiste à se remettre en action, outil en main. Dès lors, se remettre en résonnance avec son être ; avec les fondements de l’évolution de l’Homme, depuis le début de son humanité, de sa propre humanité.

Enfants, nous étions peintres, modeleur, botaniste, sculpteur, architecte, chasseur, explorateur. De tout cela qu’est-il devenu ? Il y a cependant un moyen, au centre même de la maturité, de retrouver ces possibilités perdues. Un acte qui vous donnent la joie directe de l’émerveillement, un acte qui vous ramènent aux temps heureux où le monde émerveille. Cet acte, c’est l’observation, l’étude des outils en tant que symboles.      

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