Dominique Naert - Nous n'avons pas la capacité de changer le monde, mais celle de changer notre propre vision du monde…/… We can't change the world, but we can change our view of it.
 
déc
7

Nos morts

Ecrit par Dominique

Nos morts

Il est des périodes de la vie où la mort nous entoure ; où il semble planer des fantômes dans nos vies. Alors que la mort semblait nous épargner,   aujourd’hui, elle est vraie et si lourde à porter.

Le temps s’est suspendu et nous sommes confrontés à la mort, à son masque, à son odeur, à son  silence ; à la mort et ses non-dits, ses malaises, à sa raideur et à l’absence, au vide, au néant…

Absence d’une imperceptible vie, d’un souffle, d’un cillement que l’on veut déceler jusqu’à l’extrême déni. Et si même nos propos voudraient vous le faire croire, il se façonne dans notre imaginaire, une barrière étrange, un voile diaphane où se projette le film de nos vies en commun qui n’accepte pas le mot fin. Nos pensées qui divaguent au gré de nos souvenirs, retiennent nos morts dans  la solitude de leurs corps refroidis. Leur infinie quiétude nous intime au détachement, et pourtant rien ni fait. Leur immobilité nous impose de nous retirer, leur aura nous rejette au-delà des limites du temps qui suinte la vie en décomposition.

Pour ceux qui restent, la mort est une fracture. Alors que pour le défunt, la mort n’est rien, elle est souffrance et angoisse pour les vivants. Lui disparait du temps et s’insinue dans l’infini ; nous, nous vivons la mort avec plus de conscience, globalement, pleinement, avec une pesanteur qu’il est difficile de supporter avec nos corps fébriles. Nous touchons du doigt l’indicible, l’ineffable, sans en être surpris. C’est l’ultime présent du mort qui nous enseigne le sens du sacré, fut-il, laïc. Il le transmet dans un silence lourd d’un message essentiel.

Il nous enseigne de nous taire et de méditer sur notre propre vie, sur le sens que nous voulons y apporter ; il nous indique de lui donner une intensité nouvelle et puissante. Puisque jamais plus la vie ne sera comme avant. Nos centres d’intérêts se verront modifiés, détachés de ce qui, auparavant, mobilisait notre attention. Mais seuls se reconnaîtront ceux qui ont vécu la mort, ceux qui ont veillé leur mort. Comme la salamandre qui mue dans la braise et le feu, nous déposons nos carcasses alourdies au pied du cadavre qui subit sa propre transformation. En nous, s’opère aussi une sorte de mutation qui nous élève. Désormais, nous serons des mutants. Des êtres à la raison modifiée qui semble bénéficier de la même putréfaction de nos pensées arrêtées, de nos certitudes entêtées.

Tout notre imaginaire se trouvera à jamais nourri des images gravées des chairs blafardes de nos morts. Pas de cauchemars funestes, non : nos morts ne reviennent que vivants dans nos rêves nocturnes. Les images cadavériques seront nos symboles personnels ; ils porteront nos pensées oniriques et élèveront notre vision du monde. Elles la dynamiseront si  nous savons leur faire appel. Dès lors, nous devrons les ramener à notre conscience avec confiance. Nous dirigerons ainsi nos pensées pour transcender notre psychisme, pour élever nos âmes.

Les survivants aux morts accèdent ainsi à des niveaux de consciences inconnues jusqu’alors ; ils font face à une réalité plus crue qui brise leurs illusions et coupe leurs entraves. Ils se détachent des choses qui, jusqu’ici, empoisonnaient leurs vies. Ils comprennent ce qu’ils ne comprenaient pas ; ils voient ce qu’ils ne voyaient pas ; ils ressentent ce qu’ils ne ressentaient pas. Ils paraissent détachés, or ils sont attentionnés ; ils paraissent absents, ils voient ce que les autres ne voient pas. Ils sont lucides et prennent cette lumière du souvenir des morts qui les habitent jusqu’au bout de leur propre vie.

Et grâce à cette présence légère et persistante du mort, le vivant ne sera jamais plus isolé, ni solitaire ; jamais plus, il ne connaîtra l’ennui : il restera perdu dans ses pensées et parfois même, il esquissera un sourire. Souvent, sa présence ne sera que virtuelle au milieu des autres : lui, planera au dessus du monde matérialisé en compagnie du mort. Parce que plus qu’un souvenir, il vivra avec lui dans son imaginaire. Il sera riche de la conscience du défunt et deviendra, grâce à lui, plus créatif et conséquent.

Et c’est en cela qu’ils vivent et nous survivent…

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